Gilles AILLAUD

Né en 1928 en France - Décédé en 2005

Gilles Aillaud fait partie de ces artistes qu’il est difficile de situer dans une classification qui tenterait d’exprimer et de définir ce qu’est l’art contemporain. Comme Eugène Leroy, Denis Laget ou Raoul de Keyser, comme Morandi, pour évoquer un peintre plus ancien, Gilles Aillaud a bâti une œuvre singulière, dont l’unique sujet concerne les animaux, presque toujours représentés en situation de captivité. Travaillant directement sur le motif ou d’après un archivage photographique accumulé au fil de ses visites dans les zoos du monde entier, il a peint tout ce que les parcs animaliers comptent en espèces. Ce parti pris engage évidemment une réflexion sur le sujet lui-même car ces animaux sauvages, habituellement invisibles au regard, ont perdu dans les zoos la possibilité de se cacher, sont soumis «sans rémission à un régime de visibilité intégrale […]. La cage est le contraire absolu du territoire non seulement parce qu’elle ne comporte aucune possibilité de fuite et d’évasion, mais d’abord parce qu’elle interdit le passage de la visibilité à l’invisibilité, qui est comme la respiration même du vivant», comme le note Jean-Christophe Bailly dans un texte remarquable consacré à Gilles Aillaud (Le visible est le caché, Ed. Le Promeneur, 2009). Il est donc question dans cette œuvre d’envisager la captivité et la perte irrémédiable de cette «respiration du vivant», de cette possibilité d’être caché. L’œuvre de Gilles Aillaud ne concerne que cela et n’est fondée, formellement, que sur des questions de peinture : y voir une allégorie de la condition humaine entravée par ses propres formes d’enfermement relèverait d’une lecture erronée que le peintre a toujours refusée.
Gilles Aillaud est incontestablement, comme les peintres cités précédemment, ce que l’on a pour habitude d’appeler un «peintre pour les peintres», un artiste admiré par d’autres artistes qui mesurent la difficulté de peindre, de constituer une langue qui parvienne à décrire ses enjeux.

À propos de La fosse aux ours :

Toute sa vie de peintre, Gilles Aillaud a peint des animaux, en captivité dans des zoos, dans leurs cages et dans les enclos dont les décors factices imitent tant bien que mal le milieu naturel des bêtes. On y trouvera peut-être une image de la condition humaine, mais c’est de peinture dont il s’agit avant tout et Gilles Aillaud fut et demeure un maître pour les peintres de toutes générations qui regardent ses œuvres avec admiration. Abattus par l’ennui et la morne existence du zoo, attractions déchues par d’autres animaux bien plus spectaculaires – tigres de Sumatra, dragons de Komodo, alligators du Mississippi, loups arctiques ou manchots de Humboldt – les ours se tournent, baissent les yeux, se cachent entre les branches faméliques du tronc, délavé comme leur tanière factice. Leur territoire fut celui des forêts montagnardes et des grottes de la préhistoire où ils laissèrent les traces de leurs hibernations – griffures profondes biffant les représentations des hommes sur les parois humides dans la nuit absolue des cavités recluses. Gilles Aillaud les a peints, eux et les autres espèces, dans les zoos usés par le flux des touristes de la race des vainqueurs, observateurs émerveillés ou las de ce que le monde avait fait avant eux. Il les a vus comme s’ils étaient des hommes, des femmes, non pas dans une allégorie de condition humaine mais dans l’assentiment accordé aux bêtes, à leur indolence, à leur ensommeillement feint, à leur présence – malgré tout – dans le monde fabriqué pour qu’ils vivent – malgré tout – là où le sol est pareil aux parois, où ruissellent les eaux sur des roches composites, où il est impossible de se dissimuler aux regards amusés. L’humanité se loge dans les reflets de pelages doux aux couleurs de nuit crépusculaire, dans une échine courbée sous une masse dont on sent la mollesse et la souveraineté. Cette œuvre est un chef-d’œuvre de sensibilité et de peinture. Les larmes d’huile fondues sur une trame de lin, l’existence diluée, trois ours qui n’en font qu’un, un tronc squelettique comme un phasme, un fond percé d’ajours demeurés en réserve comme une respiration, des taches blanchâtres déposées çà et là sur le sol comme un laitage de neige, le temps passe, il fera beau demain – malgré tout.

 

Jean-Charles Vergne