Ghada AMER
Née en Egypte en 1963 – Vit aux Etats-Unis
Ghada Amer fait des tableaux mais pas de peinture, ou plus exactement, pas seulement de la peinture (les fonds sont peints). Elle ne peint pas ses tableaux, elle les coud. La toile n’est pas abordée comme le support plan traditionnel de la peinture mais comme une pièce de tissu qui, en tant que telle, peut accueillir des broderies. Ainsi naissent les figures de Ghada Amer, en un réseau de fils et de points cousus sur la toile.
Dans sa stricte linéarité, le fil trace le dessin. En ce sens, les tissages s’apparentent autant à l’écriture qu’à la peinture. On ne trouve donc pas ici la spécificité de la peinture, pas d’aplats colorés, ni d’effets de matière, seulement des lignes. Cette particularité du dispositif est mise en évidence dans une œuvre comme la toile dont la seule image qu’elle porte est une définition de l’amour sortie du dictionnaire. Toute image en est évacuée pour ne laisser sur la toile que le texte brodé extrait du Petit Robert. Le texte se déroule sur toute la surface de la toile, de gauche à droite et de bas en haut. Cependant, les lettres sont toutes brodées en majuscule et seul leur contour extérieur est indiqué (les boucles sont pleines). Ghada Amer considère que son travail relève de la production de peinture, même s’il se fait sans peinture. En effet, les problèmes auxquels elle se trouve confrontée sont des questions de peintre : rapport au format, composition, représentation, etc.
La définition donnée par le dictionnaire – qui plus est la définition d’un sentiment – constitue un point de ralliement où se retrouvent les subjectivités, c’est un lieu commun. La peinture de Ghada Amer en est pleine. Le recours au lieu commun ne constitue ni une facilité ni un échec, le lieu commun est le point, la croisée (pour ne pas dire le point de croix) où se concentrent les valeurs, leurs conceptions, les désirs d’une société. La représentation que Ghada Amer donne de la condition féminine relève du cliché. La couture elle-même, en tant qu’activité spécifiquement féminine, a perdu de sa réalité : peu de femmes passent aujourd’hui leurs soirées en travaux de couture. « Ce qui m’intéresse dans les clichés, déclare l’artiste, c’est l’idée du « modèle vivant » […] Tout mon travail tourne autour de l’idée du modèle ». Ce souci découle des patrons que Ghada Amer a commencé par coudre (sinon épingler) sur la toile avant de commencer son travail sur la broderie. Or, le « cliché » c’est ce qui est le plus éloigné du modèle mais c’est aussi une image photographique, soit ce qu’il y a de plus objectif. En bro(car)dant ces clichés, Ghada Amer tisse un discours où sens et image se brouillent mutuellement.
Karim Ghaddab