Christian BOLTANSKI

Né en France en 1944 – Décédé en 2021

Christian Boltanski se reconnaît d’abord comme un parfait autodidacte. Pratiquant indifféremment la peinture, la vidéo, l’installation, il déploie ses recherches autour d’un axe autobiographique mêlant de fausses anecdotes à la véritable histoire de sa vie.

A partir de 1984, Christian Boltanski travaille autour du thème du théâtre d’ombres, renouant ainsi avec l’une des formes les plus anciennes de la création artistique. Ombres, les bougies est une œuvre constituée de dix portants en fer blanc sur lesquels sont fixées dix figurines dont l’ombre est projetée sur le mur par la lumière de dix bougies. Ces marionnettes spectrales, disposées à hauteur de regard, sont de petits démons de fil de fer, des silhouettes filiformes qui n’ont de présence que par la seule magie d’une petite bougie. Un souffle suffirait pour mettre un terme à leur existence. Mais l’ombre, ici, a plus d’épaisseur, de mystère, que le modèle. Les ombres de Christian Boltanski ont la douceur triste des fêtes qui s’achèvent, des théâtres d’ombres que l’on démonte, la sourde violence aussi des souvenirs qui s’éloignent. Christian Boltanski bâtit un petit théâtre de la mort et des revenants. Les ombres portées de l’œuvre de Christian Boltanski renouent avec plusieurs grands récits mythiques et religieux. Que l’on songe aux rituels magiques et religieux de toutes cultures et de tous temps, que l’on se figure les éclairages à la torche au fond des cavités les plus reculées des grottes préhistoriques ou que l’on pense, tout simplement, à la puissance évocatoire –  onirique ou cauchemardesque – des ombres portées, le théâtre d’ombre tient à la fois de la danse macabre et du rituel. Il suggère de nombreuses évocations issues de toutes les mythologies – la danse des morts, le Golem, la Kabbale, la caverne platonicienne et son questionnement sur la perception de la réalité, les origines de la peinture chez les Grecs par le tracé des contours de l’ombre d’un visage sur un mur – et soulève la question de notre relation au visible et à l’au-delà, à la vérité et à la croyance. Prenons deux exemples parmi ces différentes évocations, l’une provenant de notre histoire, réelle, l’autre d’un récit mythologique, fictif. La première concerne ce que voyaient les chamans dans les lieux les plus inatteignables des grottes préhistoriques, lorsqu’ils peignaient les parois à des fins de communication avec l’au-delà du monde. Il faut imaginer leurs ombres démesurées et déformées, projetées par les quelques torches destinées à éclairer leur travail, dans ces cavités obscures où leur conviction les portait à croire au pouvoir psychopompe des images peintes, en leur capacité à mener les âmes dans l’au-delà immatériel, par-delà les parois de roche dès lors envisagées comme des lieux de passage, de simples membranes, des tympans de résonance entre le monde et l’outre-monde. La seconde évocation, fictive celle-ci, concerne l’origine mythologique des images, racontée par Pline l’Ancien. Il s’agit de l’histoire de la fille du potier Dibutade qui, voulant conserver le visage de son bien-aimé, dessina les contours de son ombre portée sur la paroi d’un mur pour que son père puisse en faire un objet en relief, une image portative, un souvenir. D’un côté, des images produites au milieu des ombres, perçues comme les véhicules d’une magie (et l’on notera l’anagramme image/magie) ; de l’autre côté, l’ombre comme origine fondatrice des images.

Jean-Charles Vergne