Pierre BURAGLIO

Né en France en 1939 - Vit en France

Entre 1963 et 1965, Buraglio est en relation avec Bioulès, Kermarrec, Parmentier, Buren… dans l’atelier de Roger Chastel aux Beaux-Arts. Aux questions que ces jeunes artistes se posent sur la notion de support, le devenir de la peinture et la réponse à la surface blanche, Buraglio répond avec ses Recouvrements, qui sont des tableaux déjà peints qu’il recouvre d’une ultime couche, sorte d’écran qui tout en la dissimulant laisse deviner la couche antérieure. Cette stratification de la surface constitue de façon explicite une décomposition virtuelle du tableau, une mise à plat des éléments qui le constituent matériellement. A ces travaux, succède en 1966 une série élaborée à partir d’anciennes toiles découpées en triangles ensuite rassemblés sur un support unique. Intitulées Agrafages, ces œuvres apportent une solution originale au conflit dessin/couleur. Suit en 1968 la série Camouflages, proche dans l’esprit des Recouvrements dont elle prolonge les investigations.
Dès l’origine, la réutilisation des déchets, particulièrement les déchets de ses propres œuvres, apparaît comme un principe établi. Cette particularité peut être envisagée de deux manières différentes : processus d’économie interne de l’œuvre qui s’auto-engendre, elle renvoie aussi métaphoriquement à l’idée que la peinture procède et se nourrit d’elle­-même, à travers son histoire.
Après une longue interruption de 1969 à 1974, Buraglio cherche à réinvestir la picturalité à partir d’objets usagés rappelant le tableau. Il passe du châssis vide au cadre, puis à la fenêtre, élément symbolique de la pratique picturale. L’écran que constituait au second degré ses œuvres antérieures se laisse à présent traverser véritablement par le regard. Récupérées par l’artiste, ces fenêtres sont utilisées pour tout ou partie selon les besoins du moment. Souvent découpées, elles sont ensuite adjointes de vitres blanches, bleues, translucides ou transparentes puis rayées au moyen d’un diamant, donnant ainsi à voir, tout en l’occultant partiellement, leur au-delà.
Buraglio réalise également des Masquages, en employant des rubans de masquage usagés ; des Assemblages, en utilisant des imprimés divers, des paquets de gauloises,… L’espace ainsi obtenu est concentré et mesurable d’un coup d’œil. Parallèlement il travaille à la série dessins d’après…. Ce sont des dessins sur calque faits d’après des œuvres picturales historiques ; sur ce matériau proche du verre, le crayon marque aussi nettement que le diamant incise. En même temps qu’une investigation du dessin pour lui-­même, c’est donc dans une certaine mesure le prolongement de perspectives ouvertes dans les fenêtres.
Cette dissection de la peinture et du tableau procède d’une volonté d’en mettre en évidence les mécanismes et les composants essentiels. Chacune des séries ou suites de séries s’attache à analyser un ou plusieurs aspects de la pratique picturale et de sa matérialité: support, plan, couleur, ligne, dessin, composition de l’espace… Dans le même temps qu’il les isole, il met en évidence leur singularité et leur richesse.

A la fin des années 70, Buraglio s’engage dans de multiples recherches dont il faut chercher le motif matriciel dans la fenêtre: Caviardages, Assemblages, mais aussi Masquages, série quantitativement importante à laquelle appartient cette œuvre marquée par l’économie des moyens mis en œuvre. Le matériau de base est ici constitué de rubans de masquage usagés formant des lignes de couleur qui découpent l’espace comme le feraient les croisillons d’un châssis. Celles-ci délimitent des « fenêtres » moitié ouvertes, moitié occultées par le jeu du peint et du non peint des rubans. Composant un espace unique et global immédiatement perceptible, ces fenêtres constituent également une accumulation d’espaces fragmentaires autonomes. Le tableau est à la fois un tout et une accumulation de parties. Buraglio aime à répéter la phrase de Cézanne: « Je vous dois la vérité en peinture. » Ce refus de l’illusion et de l’artifice n’écarte cependant pas toute dimension esthétique : cette composition vise à créer un lieu qui capte le regard ; tout en se laissant traverser, elle donne à voir une absence.

Nicolas Chabrol