Jean DEGOTTEX
Né en France en 1918 – Décédé en 1988
Si Jean Degottex débute sa carrière artistique dans l’obédience de l’abstraction lyrique, il oriente dès le milieu des années cinquante sa problématique vers l’écriture et ses capacités à être expressive en tant que graphisme. Le peintre se livre alors à l’étude des textes les plus divers (livre des morts, textes arabes, idéogrammes asiatiques…).
La suite ETC a été réalisée en deux temps nettement séparés. Les deux premiers numéros ont été peints en décembre 1964 et les trois suivants en mars 1967. Les numéros II et III présentent des signes doubles et c’est seulement à partir de la quatrième toile que Jean Degottex se satisfera d’une trace unique. Chercher à interpréter le sens du titre (ETC) peut nous conduire à mieux comprendre la démarche du peintre. Si l’on interprète les trois lettres ETC comme étant l’abréviation de « et caetera », on se trouve confronté à une notion paradoxale : le geste est unique, c’est-à-dire non reproductible à l’identique et cependant il existe une infinité de gestes uniques possibles. ETC serait donc une synthèse : celle de la multiplicité dans l’unité et inversement. Dès le milieu des années 50, le peintre avait acquis une connaissance livresque intime des pensées de l’Extrême Orient. Pour la suite ETC, le rapprochement le plus évident est à faire avec Les propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère de Shitao. Ce texte du début du XVIIIe siècle est un traité de peinture pour lettrés dont la première partie s’intitule « l’Unique trait de pinceau ». Si pour l’Asie, cette trace à quelque chose d’ontologique, il est à noter qu’elle n’existe jamais en tant que telle dans la peinture traditionnelle (toujours figurative). L’intelligence plastique de Jean Degottex fut donc de mettre certains des préceptes des calligraphes et peintres de la Chine ancienne au service de l’abstraction occidentale contemporaine. La trace crée l’espace, précise le Vide et induit des rythmes plastiques en son sein même. Le Vide, promu au premier rang du vocabulaire de la peinture de Jean Degottex n’est ni nihiliste, ni paralysant. Il est le lieu de tous les possibles. A la longue préparation du fond succède l’inscription, sans reprise, de la trace d’encre. Comme pour la calligraphie, la spontanéité ne peut survenir qu’à la suite d’un long apprentissage. L’acte de peindre n’est pas qu’intellection ou, à l’opposé, que travail de la main : il est l’adéquation parfaite du physique et du mental.
Avec la série des Reports, la toile n’est plus seulement le support de la peinture, elle devient le matériau majeur de l’œuvre. La toile est tout d’abord pliée en deux. Le peintre trace ensuite des lignes parallèles à l’aide d’un outil pointu. Ces lignes, en déformant la surface tissée, inscrivent des sillons dans la matière. Lorsque ce travail est terminé, la toile est dépliée et tendue sur un châssis. Le pliage et le dépliage induisent deux types de traces à la surface du tableau : des lignes en creux pour la partie supérieure et des lignes en relief pour la partie inférieure. La partie inférieure nous montre le lieu de l’action, la partie supérieure la répercussion de cette action. Le peintre, de façon sensible, interroge la dimension tactile et matérielle de la toile, une toile qui est plus que jamais une peau. C’est aussi l’envers de l’œuvre qui nous est donné à voir, et plus encore que l’envers, c’est l’entre-deux de la peinture qui nous est montré. L’espace chez Jean Degottex est toujours celui, contemporain, du continuum espace-temps. Temps et espace se trouvent intimement liés : c’est bien le temps du geste qui déforme l’espace de la toile, de la peinture.
Jean-Paul Dupuy