Daniel DEZEUZE
Né en France en 1942 – Vit en France
Les objets fabriqués par Daniel Dezeuze s’apparentent davantage à des bricolages modestes ou à des attributs de chaman qu’à des sculptures. Leurs matériaux les rapprochent des assemblages hétéroclites qui pourraient joncher le sol autour de la cabane d’un excentrique, mi-clochard, mi-rebouteux. Ils sont construits à partir d’éléments de récupération aussi banals et a priori dépourvus d’intérêt qu’un vieux sac en cuir, un porte-savon, un arrosoir en plastique… Les différentes parties tiennent ensemble grâce à des morceaux de scotch, des lanières de cuir, des cordes. Nous sommes donc là bien loin d’une certaine idée de la sculpture triomphante moulée dans le bronze ou taillée dans le marbre. Plutôt que de fonte ou de taille, il s’agit d’assemblages de petites choses sans importance qui prennent peu de place et tiennent plus ou moins bien ensemble.
Cependant, l’aura magique qui se dégage de ces objets fragiles est illusoire. Aucun d’eux ne possède de propriétés surnaturelles, ils ne sont pas fabriqués par un sorcier mais par un artiste, ils ne sont destinés à aucun rituel mystérieux et, comme toute œuvre d’art, ils ne servent à rien (à rien d’autre que l’affirmation de leur présence). Malgré leur apparence misérable, ils restent des sculptures. C’est ce qu’affirme Dezeuze lorsqu’il dit que « l’objet affirmant intégralement sa fétichéité permet d’éluder le fétiche ». C’est parce que l’objet répond aux codes visuels communément admis du fétiche (forme simple, assemblage de matériaux de récupération, refus du « joli ») qu’il affirme dans le même temps être un jeu, une déclinaison de ces codes, une fiction. En ce sens, de tels objets fonctionnent non comme des trompe-l’œil mais comme des « trompe-foi ». Ils interrogent notre capacité à croire aux fictions que nous construisons, qu’elles soient cultuelles ou culturelles.
Le bambou qui leur sert généralement de pied tient lieu de socle. Le changement induit est considérable : la sculpture ne se donne plus à voir comme un objet massif lourdement posé sur le sol mais comme une ligne verticale. De ce simple fait, ces pièces entretiennent un rapport étroit avec un corps debout et répondent, comme en vis à vis, à celui du regardeur. Cependant, leur taille – plus de deux mètres – fait qu’elles nous dominent. Longues silhouettes étiques, elles sont presque réduites à des graphismes dans l’espace. En effet, leurs lignes sont plus proches du dessin que du volume que suppose généralement la sculpture. Appuyées contre un mur, elles s’apparentent à un système de traits ou à un collage se détachant sur une surface.
Une œuvre comme la gaze découpée entretient plusieurs rapports avec ces objets. Il s’agit également de matériaux pauvres, extérieurs au champ traditionnel des beaux-arts ; la forme se donne à voir comme un arrangement de lignes ; et surtout l’ambigüité est maintenue entre la figuration et la seule affirmation de la matérialité de l’œuvre. Un visage stylisé peut être vu dans cette gaze découpée, sans qu’aucun élément ne vienne confirmer explicitement cette interprétation. Le contour de la gaze évoque également la forme d’un trou de serrure, sans doute comme une ultime allusion à la visibilité en tant qu’observation de quelque chose qui reste caché et se dérobe.
Karim Ghaddab