Sylvie FANCHON

Née en France en 1953 - Vit en France

Si Sylvie Fanchon peint depuis le début des années 80, elle a renoncé il y a une vingtaine d’années à toute la gestualité considérée comme porteuse d’automatismes et de recherches d’effets. Comme le rappelle François-Claire Prodhon : « L’artiste renonce alors à toute « gesticulation », tout débordement émotionnel. Elle s’inscrit dans un champ volontairement limité. Elle décide pour un temps de peindre en utilisant uniquement le noir et blanc, renouant avec ce choix avec l’idée de l’épure et la rigueur du dessin. Puis elle s’achemine très graduellement vers un travail en aplat dont l’opacité abolit l’idée de « peinture fenêtre » pour y substituer celle de « peinture écran »1.
Une peinture volontairement restreinte donc, refusant toute référence possible à la tridimensionnalité. Si cette peinture joue de l’opposition entre ce qui semble être un motif et un fond, cette opposition ne creuse pas l’espace, ne définit pas quelque chose devant et quelque chose derrière. Cette absence de profondeur est, sans doute, due non à la bichromie mais à la gamme choisie : il y a bien différence de tonalités mais des différences très assourdies et une surdité générale – renforcée par la matité de la surface – qui semblent empêcher les contrastes. De plus, dans la peinture qui appartient à la collection du FRAC Auvergne, cet effet est renforcé par un très faible contraste de valeurs entre la forme et le fond. Il y a bien quelque chose qui semble surnager mais n’arrive ni totalement à s’extraire ni totalement à s’enfoncer. Quelque chose est entre-deux eaux.
En fait, plus qu’à l’écran, la peinture de Sylvie Fanchon semble faire référence à la cartographie ou au schéma et, si l’on reprend le terme de projection, il faudrait l’entendre dans un sens plus mathématique que cinématographique : « opération par laquelle on fait correspondre à un point ou à un ensemble de points de l’espace, un point ou un ensemble de points d’une droite (axe), d’une surface (projection plane, si cette surface est un plan). » L’opération projective est celle d’un basculement d’un espace dans un autre. C’est-à-dire que cette peinture semble référentielle mais sans jamais être dans l’image. Elle utilise, comme vocabulaire, ce qui est commun à la carte, au plan de coupe, au schéma de montage, aux systèmes de réseaux, pour constituer un espace pictural propre – faisant référence à mais non assimilable à. De la même manière que la carte n’est pas le territoire ni même sa représentation, la peinture de Sylvie Fanchon n’est pas une représentation mais parcours d’espace, occupation d’espace à partir d’une projection, d’une opération mentale de réduction. Pour reprendre l’expression de Karim Ghaddab, il y a une « modélisation du réel2 »
C’est également un aspect qu’évoque Cyril Jarton : « Le tableau est une forme d’autonomisation par rapport au monde social et physique : dans les limites du cadre et dans l’abstraction de la troisième dimension, il revendique une extraterritorialité. (…) Sylvie Fanchon peint des choses sans importance, la surface d’une table, un fragment de carrelage, un plan de métro, qui, d’ailleurs, n’étant plus identifiables comme tels, ne sont pas susceptibles d’être valorisés. (…) Tandis que la signification signifie à partir d’un système de langage déterminé, le sens se meut simplement hors de la signification, sur ces chemins sans titre, ces circuits sans voitures, ces réseaux sans stations, ces canaux fluides parcourant les contrées de ce paysage logique, ce sol du sens que les linguistes, sans parvenir à le définir, appellent, justement, le champ sémantique3. »
Un champ sémantique instable – contrairement à la carte ou au schéma – qui joue de toutes les instabilités et déséquilibres. Instabilités et déséquilibres renforcés par la surface de cette peinture, volontairement pauvre, pas aussi lisse qu’elle semblerait l’être, montrant comment elle s’est faite, sans effacement des repentirs, faisant affleurer l’ensemble de ses hésitations.

Eric Suchère

1- In Sylvie Fanchon, Centre culturel de Palerme et de Sicile, Morgana edizioni, Palerme 1995, p. 10.

2- In Art Press n° 232, 1998.

3- Cyril Jarton, « Ici la Terre » in Sylvie Fanchon, catalogue de l’exposition Le Quai, Mulhouse et le FRAC Basse-Normandie, Caen 2000, p. 14.