Fabienne GASTON-DREYFUS
Née en France en 1960 - Vit en France
La peinture de Fabienne Gaston-Dreyfus est une peinture littérale. Littérale au sens où les formes, surfaces, gestes, motifs… qui la parcourent ne disent rien, ne racontent pas d’histoires, n’émettent aucune symbolique, ne sont en rien métaphoriques. Certains diraient, ou pourraient dire, qu’elle est abstraite et cela est vrai mais ce n’est pas la même chose. On peut être abstrait et métaphorique, abstrait et symbolique, abstrait et narratif… Donc, j’insiste, il s’agit bien de littéralité, une littéralité accentuée par le fait que cette peinture ne semble pas s’inspirer de ou être une abstraction d’éléments vus dans la nature, dans l’espace urbain ou dans des formes extérieures à celles de l’art. Peut-être que les formes tirent leur naissance du monde naturel et que l’artiste l’a suffisamment regardé pour que ses différents registres formels puissent émerger, mais cela ne se voit ni ne se sent. Cette dernière remarque peut sembler évidente, mais elle ne l’est pas. Une grande partie de l’histoire de la peinture abstraite, est une histoire de l’abstraction faite à partir du monde, d’une « abstractisation » du réel – songeons à Wassily Kandinsky, à Jean Messagier, à Pierre Tal-Coat, à Joan Mitchell, à Shirley Jaffe ou, même, à Gilgian Gelzer par exemple. Il y a, donc, un monde des formes en soi, ne valant que pour eux et ne présentant rien d’autre qu’eux et c’est en cela que cette peinture est radicale et, finalement, assez peu actuelle comme cette idée d’un formel pictural autonome est, quand même, peu véhiculée dans l’art d’aujourd’hui.
Donc, une peinture autonome qui s’affirme déjà, et toujours, par le blanc de la toile. Ce blanc n’est pas anodin, il réfute l’idée d’une profondeur. Il affirme la présence du support. Il nie la possibilité d’une illusion spatiale. Les formes sont sur le blanc, parfois plaquées à la surface, toujours à la surface et même si certaines se recouvrent ou s’estompent, cela ne suffit pas à creuser l’espace. Le monde de la peinture est un monde bidimensionnel tout au plus légèrement stratifié ou feuilleté.
Sur cette surface, à la surface, les formes, le plus souvent, s’enchaînent. Généralement liées les unes aux autres, dans une sorte de « marabout, bout de ficelle », elles constituent, elles établissent un parcours de l’espace. Elles l’arpentent. Elles le déroulent. Elles établissent une temporalité pour l’œil du spectateur qui suit leurs fluctuations et leurs métamorphoses. Elles rendent compte par analogie de la manière dont notre regard zigzague, dérive, revient… dans un parcours erratique et des va-et-vient permanents et sans repos – c’est peu de dire que cette peinture est électrique.
J’ai parlé de formes par commodité, mais il faudrait mieux – j’aurais dû – écrire « geste », car même si l’ampleur des gestes finit par définir des surfaces et, donc, des formes, il s’agit pour l’essentiel de gestes : coups de brosses hâtifs, éléments frottés, cercles affirmés, empilements de traits verticaux… Il importe que ce soient des gestes et non des formes pour deux raisons. La première c’est que les formes pourraient renvoyer par analogie au monde, alors que les gestes, eux, ne renvoient qu’à la peinture. La deuxième, c’est que cette gestualité – qui n’est en rien expressionniste – accentue la temporalité du parcours visuel. Nous suivons les gestes dans leur parcours, dans leur liaison, mais, également, dans leur fabrication. Une fabrication de l’hétérogène, de l’hétérogénéité permanente, de la disjonction, du frottement, du grincement… dans un discursif âpre aux cassures volontaires. C’est en cela que cette peinture m’évoque les improvisations du free jazz car chaque geste/forme a sa propre rythmique, son propre tempo, son propre registre affectif et expressif et la question devient alors de les lier, autant que de les délier, de rassembler ces bribes dans une organisation qui ne répondrait à aucun schéma préconçu. C’est en cela que cette peinture ressort également d’une abstraction syntaxique.
Eric Suchère