Alain JOSSEAU
Né en France en 1968 - Vit en France
Les œuvres d’Alain Josseau concernent principalement les questions du temps, de la représentation et de l’image dans un dialogue permanent entre le dessin et le cinéma. Trois films en particulier l’ont conduit ces dernières années à réaliser des dessins de grands formats réunis dans une série intitulée Time Surface : Fenêtre sur Cour (Alfred Hitchcock, 1954), Blow Up (Michelangelo Antonioni, 1966) et Blade Runner (Ridley Scott, 1982). Dans ces films sont à l’œuvre une même implication du spectateur dans l’acte de voir comme acte de voyeurisme. Ils engagent une réflexion sur l’optique et le point de vue et déroulent une intrigue calée sur une enquête où l’image photographique, par l’intermédiaire de ses agrandissements ou de la puissance du téléobjectif, sert de révélation et permet d’accéder aux moindres replis du visible. Alain Josseau rejoue la même investigation, la même plongée dans l’image. Mais c’est en employant le dessin qu’il opère le remake, le passage d’un écran à l’autre.
«Dans ses dessins, toutes les scènes sont remises à plat, c’est-à-dire que ce qui est rendu possible par le temps dans les films (plans, mouvements de caméra, montage) est ici compilé en une seule image. Ici, la surface c’est du temps et celle-ci est proportionnelle à la durée de la séquence. Dans la séquence de l’agrandissement de Blow Up, le photographe effectue une suite d’agrandissements, une suite d’immersions dans une unique image, chaque agrandissement partant d’une zone de l’agrandissement précédent qu’a circonscrite le photographe au crayon. L’image étant agrandie, le nombre de signes élémentaires composant l’image diminue proportionnellement au taux d’agrandissement. L’image est donc de plus en plus altérée et comporte de moins en moins de signes d’autant plus qu’il re-photographie à chaque fois le tirage précédent. Cette immersion dans l’image a détruit une part de l’information organisée, créant une image à la limite de l’abstrait, composée de grains. L’espace de Blow Up est un espace discontinu, un espace troué, construit de plans successifs avec au milieu… du noir. Dans ce dessin toute la séquence (et donc les différents agrandissements) est remise à plat, mélangeant par là-même les niveaux de définition et permettant ainsi d’apercevoir, dans ce qui n’est déjà plus que des taches, un pistolet, une main, un visage.»1
Esper Sequence, acquise par le Centre national des arts plastiques en 2008, en dépôt longue durée au FRAC Auvergne, est une série de quinze dessins qui, rassemblés, forment une image-écran monumentale de trois mètres par cinq. Celle-ci est une reprise fidèle – quoique fragmentée comme un split screen – d’une célèbre scène du film Blade Runner, réalisé par Ridley Scott en 1982, d’après une nouvelle de Philip K. Dick (sous le titre original Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?). L’action se déroule à Los Angeles en 2019. Elle raconte l’histoire de Deckard (Harrison Ford), un «blade runner» (un tueur, littéralement «celui qui court sur le fil du rasoir») chargé d’abattre les réplicants, répliques exactes d’humains, ayant échappé à tout contrôle. A une étape cruciale de son enquête, Deckard découvre une photographie dans un tiroir qui représente l’intérieur d’un appartement. Au fond de la pièce photographiée, il distingue un miroir dans lequel semble se refléter une forme humaine. Pour parvenir à isoler cette forme, indispensable à son investigation, il glisse la photographie dans un puissant ordinateur nommé Esper qui équipe la police et donne aux images une résolution en trois dimensions permettant ainsi aux enquêteurs de fouiller un lieu sans y être physiquement présent. Avec Esper, Deckard peut entrer littéralement dans l’image, l’analyser, en agrandir les moindres détails avec une précision inégalée. Alain Josseau reproduit à l’identique l’image de départ que Deckard doit analyser avec, en arrière-plan, le miroir dans le reflet duquel Harrison Ford trouvera finalement un élément essentiel pour retrouver et exterminer les réplicants fugitifs.
Cette photographie contient l’un des thèmes essentiels du film de Ridley Scott, celui d’un monde totalement saturé d’images. Ce qui caractérise en effet le Los Angeles de 2019 c’est une agression rétinienne permanente. L’image est partout, sur les gratte-ciel, dans les airs, derrière les vitrines inondées par la pluie… Les réplicants sont eux-mêmes des images de leurs créateurs, les humains, mais si menaçantes qu’il faut les « retirer ». La mémoire des réplicants est factice, basée sur de vieilles photographies qui sont autant de faux souvenirs, destinés à inventer et entretenir un passé qui n’a jamais eu lieu.
Jean-Charles Vergne
1- Danielle Delouche, Alain Josseau, à la vitesse des images, Galerie Claire Gastaud / Le Bar, 2012, pp.18-19.