Dominique LIQUOIS
Née en France en 1957 - Vit en France
Après avoir fait partie d’un groupe de performers au Mexique au début des années 1980, Dominique Liquois s’est consacrée à la peinture. De cette partie de sa vie au Mexique, elle a gardé un goût pour les traditions populaires et pour le syncrétisme qui marque encore sa peinture. Une peinture qui est, de prime abord, abstraite, dans une abstraction géométrique et ludique qui évoque aussi bien la peinture de Shirley Jaffe, avec laquelle elle entretient une proximité que celle de Shirley Kaneda ; une peinture, donc, de la complexité de signes hétérogènes s’interrompant brusquement, colligeant des éléments provenant de sources hétérogènes, inscrivant des motifs géométriques aux registres parfois contradictoires dans des asymétries et des basculements constants et jouant d’une polychromie joyeuse et ludique faite d’aplats dissonants.
L’intervention picturale est, somme toute, assez formelle et les tissus qui viennent sur la peinture accentuent ce formalisme langagier voire grammairien. Des morceaux de tissus rembourrés font saillie, gonflent la surface picturale, parfois la décollent du mur, débordent et pendent ou bien relient deux panneaux ou retombent au sol ou s’agrippent au mur. Ces éléments de tissu peuvent aussi bien être des pompons, des patchworks de laine, des galons ou des tissus de fibres synthétiques.
Si la peinture était hétérogène dans ses motifs, elle était homogène dans sa surface et l’adjonction de ses éléments cousus à la toile même viennent donner une qualité tactile que la peinture seule n’avait pas ; une qualité tactile dans la texture des matériaux, mais, bien évidemment, ces éléments ajoutés donnent une tridimensionnalité qui joue ou contredit la planéité des surfaces purement picturales, fait qu’un motif prend du relief et devient objet, qu’un aplat en venant sur un volume se déforme et que l’œuvre devient le lieu de chausse-trappes perturbant la manière dont nous lisons ces espaces simulés ou réels – ajoutons que ces peintures peuvent avoir une perception latérale, ce qui est suffisamment rare pour être signalé.
Il y a, bien sûr, cet aspect formel et décoratif que la présence des éléments de tissus renforce, mais pas seulement, comme ces derniers viennent perturber, par leur registre, la peinture, car ces éléments de tissus sont bien reconnaissables : gallons et patchworks, morceaux d’acryliques ou boudins cousus… ils ne perdent jamais leur identité, ne deviennent pas totalement des éléments abstraits, mais gardent leur origine, se lisent comme les impuretés d’un monde trivial et vernaculaire faisant irruption dans le langage cultivé et raffiné de la grande peinture abstraite – et à ses connotations spirituelles et intellectuelles qu’elle a dans l’histoire de la modernité. Des morceaux de tissus africains ou indiens ou sud-américains viennent, dans les peintures de Dominique Liquois, s’insérer dans cette histoire de l’abstraction et la mettre en danger, viennent la contaminer, la rendre impure tout en nous amenant à voir leur force décorative. La qualité de l’œuvre de Dominique Liquois est de provoquer ces confrontations forcées qui cassent autant un registre que l’autre.
D’autant que Dominique Liquois ne ravale pas ces tissus au rang de simples motifs, mais préserve leur caractère symbolique – qu’ils ont encore en Afrique ou en Inde, par exemple – et le motif de l’œil – qui apparaît dans l’œuvre qui est dans les collections du FRAC Auvergne, Bad Stream – « possède une signification traditionnelle précise, ajoute une charge ethnique et concrète que vient contrebalancer la géométrisation de l’espace pictural qui lui fait pendant1. » Ainsi, des éléments ornementaux sur lesquels se greffent des roses vénéneuses, des pénis mous, des vulves satinées ou des poches aux claires allusions anatomiques viennent prendre des significations multiples qui irriguent cette peinture d’une force à la fois symbolique et humoristique.
Éric Suchère
1- L’artiste citée par Marion Daniel dans « Dominique Liquois, objets mimétiques », dans Conflicto barroco, Juvisy-sur-Orge, catalogue de l’exposition, Espace d’art contemporain Camille Lambert, 2011, p. 4.