François MORELLET

Né en France en 1926 - Décédé en 2016

Il y a très rapidement dans la peinture de Morellet un rejet de la sensibilité subjective et un refus de toute forme marquant un retour au réel. L’Art Concret suisse, Max Bill et la confirmation qu’il reçoit en 1952 à l’Alhambra de la force du  » All over « , l’amènent à abandonner toute idée de composition, mais aussi d’équilibre ; c’est là que son oeuvre est particulièrement originale et novatrice. Comme Van Doesburg, les mathématiques et la géométrie lui semblent alors être un recours pour former un art avant tout visuel, déjouant les tentatives d’interprétation auxquelles la peinture occidentale s’est presque toujours prêtée.
Aussi réfractaire à l’idée d’un art inspiré qu’à celle d’un art intellectuel et maître de lui-même, il cherche à limiter à la fois sa sensibilité et le nombre de décisions à prendre dans la conception ; cette attitude le conduit naturellement à réquisitionner le hasard. Sensible au principe énoncé par Schoënberg  » Ce qui varie, c’est ce qui est constant « , il élabore son oeuvre en systèmes généralement simples, laissant à la variation et à l’association le soin d’y introduire une diversité. Ainsi par exemple le carré sera-t-il tantôt surface, forme ou support, ou encore les trois à la fois.
La diversité et la quantité de son travail ne permettent pas d’en récapituler la totalité. On peut toutefois en retracer les étapes significatives : après avoir pris un caractère puriste et privilégié le vide, les tableaux de Morellet font souvent appel à la couleur vers 1955. Mais celle-ci étant par essence évocatrice et subjective, il y aura peut recours ultérieurement. De même rejette-t-il vite le cinétisme qui lui semble être fondé sur l’artifice. Entre 1960 et 1968, délaissant la peinture, il participe à la fondation du Groupe de Recherche d’Art Visuel (GRAV) avec le souhait de travailler collectivement et d’abandonner toute signature. Dans le même temps, il réalise des structures spatiales, parfois mobiles, à partir de triangles et de grilles métalliques.
Il explore également la notion de temporalité au moyen de compositions interférentes de néons, matériau qu’il choisit d’ailleurs pour sa froideur inexpressive et son absence de séduction. A partir de 1968, ses collages de ruban adhésif sur des éléments architecturaux, tableaux ou sculptures ont certes un côté iconoclaste, mais ils donnent au-delà à observer une  » vision de l’artifice « . Après 1971, ses intégrations dans l’architecture urbaine ont presque toujours pour principe le déséquilibre ; la tension établie entre la structure d’un bâtiment et son intervention en désintègre littéralement l’apparence première. Ce contraste entre équilibre et déséquilibre se retrouve dans une série d’oeuvres dont les supports agencés de façon dissymétrique dans l’espace sont traversés par une ligne droite. Plus récemment, sont apparus associés à la ligne des éléments végétaux comme la branche et l’herbe. Ces Géométrees sont pour leur auteur des ready-made qui quittent le jardin pour entrer en collision avec des systèmes. Là encore, refusant tout dogmatisme , il détourne la géométrie pour servir ses desseins et réaffirme le caractère ironique et ludique de son esprit. François Morellet est l’un des rares artistes de son temps capable de faire rire sincèrement les spectateurs de ses oeuvres.

Le principe de la présentation d’une ligne qui se prolonge sur plusieurs supports séparés a été utilisé pour la première fois par Morellet en 1954, notamment avec son Arc de cercle brisé. Mais c’est surtout à partir de 1973, avec ses séries de toiles placées en déséquilibre et traversées par une ligne horizontale, que l’artiste travaille pendant plusieurs années avec un support fragmenté. Dans une oeuvre telle que celle-ci, le mur et l’apparente stabilité qu’il suggère, disparaissent. La composition pratiquement coupée de son environnement, se suffit à elle-même et n’obéit plus aux contraintes de verticalité et d’horizontalité. La ligne, qui traverse les deux plans, unit ainsi deux espaces et semble se prolonger hors d’eux. Le titre et l’aspect de l’oeuvre excluent un référent naturaliste, enlevant toute sensibilité à la facture, Morellet applique un système simple et évident, et réduit au maximum ses décisions arbitraires : 2 toiles, 1 ligne, 1 inclinaison. Davantage qu’une démonstration de déséquilibre, c’est ici la dialectique de l’équilibre et du déséquilibre qui est mise en scène.

Nicolas Chabrol