Horst MÜNCH

Né en Allemagne en 1951 - Vit en Allemagne

Der schiefe Blick XL IX est la deuxième œuvre de l’artiste allemand Horst Münch acquise par le FRAC Auvergne après Eigentum (1993). Comme dans celle-ci, on retrouve la thématique du territoire.
De prime abord abstraite, composée de surfaces brunes, grises, blanches et orange, elle est, en fait, la représentation d’une carte schématisée, rendue abstraite mais reconnaissable : celle du Moyen-Orient. Si l’on se repère à l’aide de la surface orange qui rappelle Israël, on reconnaîtra, dans les deux taches blanches, l’Afghanistan et l’Irak.
Il ne s’agit pas, pour Horst Münch, de reprendre, tel que le faisait Jasper Johns, une carte, d’en faire le motif d’une peinture ou de jouer formellement avec cette notion mais d’articuler sa peinture sur le réel, d’émettre, par la peinture, une position éthique ou politique, de faire de la surface picturale – lieu d’une apparente gratuité – le territoire d’un drame. Or, un des lieux contemporains du drame, drame vu tous les jours lors des informations télévisées par l’intermédiaire d’une carte, est celui-ci. La carte elle-même, dans son imbrication dit le drame que représente ce conflit. Si la peinture d’Horst Münch s’établit sur la notion de territoire, cette carte qui se forme en elle ou cette peinture qui en forme un fantôme en est l’emblème.
Mais la peinture n’est pas tout à fait une carte et n’est pas tout à fait cette carte. Cette carte n’est pas reprise à la lettre, elle « infecte » la peinture, la contamine, la dirige formellement ou s’insinue en elle mais elle est tout autant phagocytée par celle-ci.
La définition d’un lieu par des lignes, par des surfaces dans des oppositions de tonalité ou de valeur devient le signe, la désignation analogique d’un drame plus général. Si l’emblème en est, aujourd’hui, le Moyen-Orient, il ne s’y arrête pas – d’où sans doute que la peinture ne fait qu’effleurer cette question, s’autonomise très rapidement en prenant des libertés formelles avec cette carte. Elle dit un drame plus général, celui de l’homme avec le territoire, celui d’une frontière, d’un lieu circonscrit, celui d’une fragmentation, d’une parcellisation… notions que l’on pourra appliquer aux sujets que l’on voudra comme cette peinture ne les nomme pas. Là n’est pas son rôle. Elle articule, par ses propres moyens, par ceux de la peinture, ces notions en nous renvoyant, sans cesse, au réel par analogie. Sans doute, est-ce là, la signification du titre : la vue oblique ou la vue de biais.

 

D’aspect frontal, ni expressionniste, ni géométrique, Eigentum n’offre a priori que peu de prise au jugement. Cette peinture, considérée comme une des œuvres majeures de la période grise de l’artiste (1989-4995), doit s’appréhender à partir des différentes significations de son titre. Eigentum veut dire propriété et évoque à la fois la propriété d’une chose, d’un terrain ou d’un territoire et les moyens déployés lorsque l’on souhaite délimiter le périmètre de cette zone de propriété. De là, il est possible de percevoir l’œuvre comme une vue aérienne d’une zone géographique (terrains, champs, délimitations administratives de territoires…). L’œuvre s’apparente alors à un relevé topographique montrant la diversité d’une étendue territoriale, ses espaces plus ou moins denses, plus ou moins peuplés…
Une seconde interprétation pourrait consister à aborder la notion de propriété sous l’angle frontal d’un mur de démarcation. Les origines de l’artiste nous renvoient dès lors au souvenir du mur scindant Berlin pendant la guerre froide. Et l’imagination fait le reste : fissures, impacts de balles tirées sur les transfuges tentant la fuite vers l’ouest, répression politique, suppression des libertés de circulation des hommes et des idées. Simultanément, l’aspect friable de la surface, renforcé par l’utilisation de traits exécutés à la craie grasse, donne le sentiment d’une fragilité de ce mur, tombé quatre ans avant la réalisation de cette œuvre.

Éric Suchère