Manuel OCAMPO

Né aux Philippines en 1965 - Vit aux Etats-Unis

« Mon travail actuel n’a pas d’explication (ou, en tout cas, aucune n’est encore parvenue). Plutôt que de manquer d’explications, il n’en a pas besoin. L’œuvre existe sans. Tout l’appareillage théorique de fabrication de sens pour les œuvres est une entreprise similaire à « chercher un génie dans une bouteille ». Cela conduit en fait à une accumulation vaine d’extrapolations pour exorciser les fantômes qui hantent la prison logique des dédales intestinaux. Cela me fait pester, au mieux, d’essayer de me boucher les narines pour éviter les relents du « caca des fantômes ». »
Manuel Ocampo, « Propos de l’artiste », in revue Semaine n°65, 2005.

Manuel Ocampo est Philippin, d’origine hispano-asiatique et vit depuis plus de vingt ans aux Etats-Unis. Ses œuvres, peintures ou vastes installations, mêlent références historiques de l’art, culture trash, symboles religieux et totalitaires dans un style qui oscille entre virtuosité, délicatesse, laideur repoussante, maladresse et mauvais goût assumé. Ses travaux prennent appui sur la position conflictuelle de l’immigrant Philippin installé aux Etats-Unis, tiraillé entre l’attachement à un pays d’origine ayant consécutivement enduré des siècles d’allégeance à l’Espagne et se situant depuis plusieurs décennies dans la zone d’influence politique et stratégique de l’Amérique. Dans ses peintures s’entrechoquent swastikas, crucifix, références sexuelles et scatologiques, imagerie religieuse de pacotille et provocations anticléricales, voire sataniques, relevant de la sous culture la plus éculée.
Proche d’un Paul McCarthy pour la déviance ou d’un Peter Saul pour l’acidité et le politique (voir l’œuvre acquise par le FRAC Auvergne plus loin dans ce livre), Manuel Ocampo injecte dans ses peintures un mélange vénéneux d’humour noir et de critique sociale. Originellement très influencé par l’art fresquiste mexicain de Diego Riveira et par Frida Khalo – lesquels, rappelons-le accueillirent Trotski en 1937 alors qu’il fuyait sa condamnation à mort par le régime soviétique – son œuvre prend rapidement une orientation politique en dressant un inventaire acerbe des ratages du melting pot américain de la fin du 20ème siècle, de la crise des valeurs humanistes et de l’extinction progressive des cultures ethniques minoritaires.
Comme le précise le peintre et sculpteur Michel Gouéry, auprès duquel le FRAC Auvergne a acquis deux œuvres (reproduites dans ce livre) et qui entretient avec l’artiste Philippin de fortes connivences d’esprit et de forme, la peinture est pour Manuel Ocampo « l’occasion de montrer l’Enfer sur terre ; il utilise pour cela toutes les possibilités de l’outrance et de la caricature, avec ce qu’il faut de subtilités décoratives. Ses tableaux puisent largement dans l’histoire de la peinture – Grosz, Bosch, Picasso… – et brassent l’histoire de l’humanité. Son art est politique, drôle, acide. Une de ses ambitions est de réaliser sa propre Naissance d’une nation.1»

A ideal not to be realized aborde donc un aspect essentiel de l’œuvre de Manuel Ocampo en s’attachant à la représentation cynique du déracinement, de la difficulté à s’intégrer et à être accepté en tant qu’immigrant. La barrière linguistique, matérialisée par la faute grammaticale dans la phrase peinte (« a ideal » au lieu de « an ideal »), l’adaptation au climat (les lettres couvertes de givre – ou de moisissure c’est selon), la misère, le dénuement (logement informe et délabré, insalubre)… sont les thèmes de cette peinture, volontairement exécutée avec nonchalance, dont le style (bien peint ? mal peint ?) pose déjà la question de la relativité du bien-être social. L’idéal humain, démocratique, égalitaire promis par le pays de la liberté est en définitive un « idéal à ne pas réaliser ». Des bidonvilles philippins à la réalité sociale américaine, c’est au grand spectacle des sociétés contemporaines que nous convie Manuel Ocampo, posant peut-être aussi les bases d’une interrogation sur le postulat de croissance extensive, idéal économique qui sous-tend le fonctionnement du monde, remis en cause depuis quelques années par les tenants d’une phase de décroissance.

Jean-Charles Vergne

1 in Le Journal des Expositions n°28, septembre 1995