Dennis OPPENHEIM

Né aux Etats-Unis en 1938 - Décédé en 2011

L’œuvre est constituée de deux porte-bouteilles sur chacun desquels sont accrochées une soixantaine de grosses lèvres en résine, de tous les tons de rouge, du blanc au noir, en passant par le rose pâle et le rouge vif. Les deux porte-bouteilles sont montés sur des plateaux tournants actionnés par un moteur électrique. Comme ils sont très proches l’un de l’autre, lorsqu’ils tournent lentement, les bouches de plastique se frôlent.
Bien entendu, l’œuvre fait explicitement référence au fameux porte-bouteille de Duchamp. D’emblée, se posent donc les questions de la citation, du double (les ready-mades de Duchamp existent eux-mêmes en plusieurs exemplaires), de la copie, etc. Pourtant, le travail de Oppenheim ne fait pas grand cas des thématiques postmodernes, de la revisitation de l’histoire de l’art, encore moins de sa révision. L’artiste précise d’ailleurs que la citation est loin de constituer le pivot de son œuvre : « ça ne m’est pas facile et je le fais rarement ».
En outre, il existe des différences fondamentales entre l’œuvre de Duchamp et celle de Oppenheim. Ces différences tiennent à l’ajout de trois éléments : le dédoublement du porte-bouteille, l’ajout des bouches, le mouvement giratoire. La mise en présence de deux sculptures identiques constitue une première reproduction de l’œuvre, de telle sorte que l’idée originale s’en trouve perturbée. Nous voyons deux objets en miroir, chacun étant le reflet de l’autre. La reproduction renvoie au thème du couple que souligne la présence des bouches. Ces lèvres rouges et charnues qui se font face et se frôlent régulièrement introduisent une sensualité totalement absente du porte-bouteille de Duchamp. Ce dernier, en métal, dépouillé, aigu, dépourvu de tout ornement, ne se prête guère à la rêverie érotique. Cependant, l’évidente volupté qui se dégage des Revoving kissing racks ne sont pas à proprement parler des allusions sexuelles. Duchamp, dans certaines œuvres (l’Objet dard, Étant donné…), s’est souvent montré beaucoup plus explicite.
Chez Oppenheim, les lèvres exagérément colorées et pulpeuses ont quelque chose de caricatural, sinon humoristique ; le mouvement tournant des porte-bouteilles s’apparente à une valse lente, à la fois romantique et indolente, qui n’a rien d’une frénésie sexuelle. Néanmoins, la prolifération des bouches, leur aspect siliconé, la multiplication des occasions (toujours manquées) d’embrassades suggère des comportements de séduction vécus sur le modèle de la surproduction industrielle.
L’aspect ludique de cette œuvre, son caractère presque kitsch font du porte-bouteille de Duchamp une forme canonique qu’un artiste peut reprendre et détourner de manière ironique. En ce sens, le geste de Oppenheim peut être vue comme la continuité de celui de Duchamp : il ne s’agit plus de faire accepter le ready-made par l’institution, il est désormais possible de le citer comme n’importe quelle œuvre d’art et même de le trouver séduisant.

Karim Ghaddab