Adrian PACI

Né en Albanie en 1969 - Vit en Italie

Tourné dans les campagnes anglaises verdoyantes du Northamptonshire, Per Speculum est un magnifique film dont le sens profond concerne tout autant notre manière de voir qu’une certaine conception poétique du réel. La caméra se déplace lentement et filme en gros plan des visages d’enfants. Elle finit par dévoiler l’image de tous les enfants réunis qui est en réalité une image vacillante réfléchie dans un miroir planté au beau milieu du paysage. Un enfant vise le miroir avec un lance-pierre, le brise, fracassant ainsi l’image idyllique précédemment donnée à voir. La scène finale montre les enfants perchés sur les branches d’un sycomore majestueux, jouant à refléter l’éclat du soleil à l’aide des morceaux du miroir brisé.
Les œuvres d’Adrian Paci ont très souvent accordé une place importante à la famille et il n’est pas rare qu’il fasse appel à ses proches pour la réalisation de ses films. Si les acteurs de Per Speculum n’appartiennent pas à sa famille, les ramifications du sycomore entretiennent néanmoins une forte analogie avec les représentations communément utilisées pour représenter les arbres généalogiques. Per Speculum, qui littéralement signifie «au moyen d’un miroir», se réfère à la tradition de l’image et de ses modes de fabrication. Le film propose une réflexion (dans tous les sens du terme…) sur la différence entre le monde visible, réel, et ses modalités de représentation : l’image n’est qu’un reflet, une illusion de réel. Le film est une allégorie dans laquelle voir le monde per speculum (c’est-à-dire à travers le filtre de l’œuvre, de l’artiste) c’est voir le monde à travers un filtre déformant.
Plusieurs références artistiques parcourent cette œuvre. Le paysage lui-même évoque les tableaux de John Constable et la peinture romantique anglaise de manière plus générale. Mais la source la plus importante est sans doute celle de La Clef des Champs, le tableau peint par Magritte en 1936, qui montre une vitre brisée ouverte sur un paysage : les débris de verre, tombés à l’intérieur de la pièce, reflètent le paysage comme autant de morceaux de miroirs fixés par un impossible procédé photographique. Le paysage apparaît comme brisé, tout comme il semble se briser dans le film d’Adrian Paci.