Jean-Pierre PINCEMIN

Né en France en 1944 - Décédé en 2005

Cette toile appartient à une série qui se poursuivra jusqu’en 1983 et qui marque un aboutissement dans la peinture de Jean-Pierre Pincemin. Cette série est d’autant plus importante qu’elle constitue juste avant l’introduction de la figure dans les œuvres que l’artiste nomme les peintures non géométriques. Dans les peintures des années 60 et 70, Jean-Pierre Pincemin se posait la question de la combinatoire, c’est-à-dire comment structurer la surface par la répétition modulaire, comment organiser les nuances d’une couleur afin d’obtenir une harmonie ? Si une partie de ce questionnement peut être reliée au structuralisme ou à la musique sérielle, la question qui retient bientôt Jean-Pierre Pincemin est non celle simplement de la structuration aléatoire mais celle du passage d’un plan coloré à un autre à partir du moment où la couleur prend son autonomie par rapport à la structure, question purement picturale. À partir de 1974, il entreprend la sérié des Palissades qui mènent directement à cette série : « J’étais surtout attentif à l’ordre chromatique, sans pour autant délaisser la construction ; mais elle était plutôt sous-jacente, ne se donnait pas immédiatement, un peu comme la collerette d’Élisabeth d’Autriche peinte par Clouet, qui m’est chère ». Les Palissades, par dérives successives, produisent, finalement, une structuration extrêmement simple faite d’oppositions entre verticales et horizontales dans laquelle ce qui est mis en évidence est non seulement le travail sur la modulation colorée dans les plans mais aussi dans la surface de la peinture. « Les peintures dites géométriques, du début des années quatre-vingt, sont organisées par un dessin orthogonal. La recherche préparatoire est faite sur un papier millimétré et le dessin reporté dans une proportion exacte dans d’autres formats. Le dessin se veut « cadastre », par cette indication, Jean-Pierre Pincemin renvoie à la précision de l’organisation tabulaire car Sans titre n’est pas simplement composé de trois rectangles formant un drapeau mais d’un ensemble de surfaces périphériques qui jouent à simuler le cadre ou à signifier un espace en réserve. Les différences de tonalités et de valeurs produisent des différences de perception qui amènent à des sensations de décalages de cette figure fortement centrée donnée par les trois bandes verticales. Décalages par rapport à l’axe mais aussi dans la perception des espaces auxquels introduisent ces plans. Cette peinture n’est pas « all over », elle joue sur l’ambiguïté entre la profondeur et la surface comme le faisait son illustre précédent : Porte-fenêtre à Collioure (1914) de Matisse.

Ainsi, comme l’affirme l’artiste à propos de cette série : « La couleur par ses polyvalences détruit et reconstruit toutes les figures aussi précises soient-elles. Sa particularité est donc de modifier la perception, d’en troubler la communication ». Le tableau est donc à envisager principalement sous l’angle de la couleur et non sous celui de sa géométrie. La couleur est elle-même la figure. A la perception globale et synthétique de la structure répond une perception stratifiée, prolongée et variée de la couleur, chacune d’elle introduit une temporalité différente suivant l’espace qu’elle occupe et l’autre couleur qu’elle jouxte : « la difficulté est le passage et la contiguïté de la couleur, difficulté dans le tableau, mais elle ne s’observe pas dans la réalité visible du monde. Qui sait assurer passage et contiguïté de la couleur dans un tableau, sait peindre ».

Eric Suchère