Charles POLLOCK
Né en 1902 aux États-Unis. Décédé à Paris en 1988.
« La couleur – la résonance de la couleur, et la tension et le flux de cette résonance – et la luminosité, voilà par quoi le dialogue est possible entre le peintre et son monde »
Charles Pollock
En 2020, grâce à la confiance de Sylvia Winter et Francesca Pollock – épouse et fille de Charles Pollock –, et de la galerie ETC, le FRAC Auvergne a fait l’acquisition de la peinture #100 (Stack) et de son collage préparatoire réalisés en 1968. Pour comprendre l’importance des collages, il est utile de préciser que le peintre Josef Albers occupa une place particulière dans l’univers de Charles Pollock. Sylvia Winter, son épouse, fut l’étudiante d’Albers quand il enseignait à la Yale School of Art and Architecture. Elle fit découvrir à Charles Pollock le Color Aid Paper, ce papier coloré teinté qu’utilisait Josef Albers pour illustrer ses cours sur la couleur.
À la fin des années 1960, Charles Pollock utilise ce papier en le découpant en bandelettes pour composer ses collages, pour mieux les détourner vers une dimension sensible et poétique du chromatisme. Ces collages permettent de mesurer l’écart entre les études et les peintures qui en résultent, agencées en de subtiles variations de tons vaporeux, de surfaces ou d’aplats purs en apparence mais en réalité soumis à d’infimes modulations. Le passage des études aux peintures montre comment s’effectue la transition d’un motif coloré à un autre, par capillarité de teintes qui s’imprègnent en de très légères franges, lisérés chromatiques diffus impulsant aux peintures un flottement, une hésitation, un léger brouillage, une rythmique, un souffle. Il ne s’agit donc pas de reporter fidèlement l’esquisse formée par le collage mais de s’en éloigner pour rendre vibratile la surface de la peinture. Le collage est abstrait, la peinture l’est sans doute beaucoup moins : elle opère un imperceptible retour vers une surface sensible constituée de modulations lumineuses, de dégradés légers, dévoilant ainsi une poétique de la surface qui est aussi une poétique du monde nimbé de variations optiques infimes.
L’œuvre portant le numéro 100 au catalogue raisonné de l’artiste est sous-titrée « Stack » (« empilement »). Elle appartient à une série consacrée à la superposition sensible de zones picturales colorées, « empilées » les unes sur les autres, formant ainsi des colonnes en déséquilibre où les strates de couleurs s’agencent dans un ordre particulier et selon des épaisseurs variables. Tout est réglé selon une rythmique spécifique qui n’a rien de minimaliste. Au contraire, la pulvérulence des aplats, leur opacité relative, les nuances de leurs intensités, les débords légers, les imprégnations de la toile où les teintes se mêlent par capillarité en d’infimes franges chromatiques qui confèrent à l’ensemble tremblements et délicatesse. Sur #100 (Stack), les bordures floutées confèrent à la structure la fragilité stable d’une Tour de Pise chromatique dont le sommet vaporeux finit par se confondre avec un crépuscule de grisaille cotonneuse. La perméabilité liquide des frontières qui séparent le bleu pétrole, le rose et le fond couleur sable fait advenir une série de lisières qui font éclore le merveilleux de la couleur, le souvenir d’une étendue sablonneuse encore mouillée par le ressac, l’évaporation insaisissable d’une journée fuyant doucement vers la nuit par dégradés optiques. L’édifice bancal se charge délicatement en organicité, se mue en un empilement oblique où vibrent communément la réminiscence d’une lumière de paysage et la figure vertébrée d’un corps.
Cette peinture appartient aux séries réalisées dans le Michigan puis à New York à la fin des années 1960 grâce auxquelles se révèlent pleinement les talents de grand coloriste de Charles Pollock. À la retraite de sa carrière de professeur il peut désormais s’adonner librement et tout entier à la peinture. Les deux années sabbatiques qu’il a prises – l’une au Mexique, en 1955-56, et l’autre à Rome, en 1962-63 – ont galvanisé sa pratique artistique. Plein d’espoir, il rêve d’un retour à New York, où il a toujours des amis précieux, dont Jules Olitski, Barnett Newman et Robert Motherwell. Un an plus tôt, il a reçu une bourse Guggenheim, et ses expositions récentes ont connu un certain succès. Il prend ses quartiers dans un très grand atelier situé au 222 Bowery, un lieu iconique fréquenté par des artistes prestigieux, de Fernand Léger à William S. Burroughs – Mark Rothko y a peint les Seagram Murals. Charles Pollock conçoit la série New York, une cinquantaine de toiles lumineuses et atmosphériques, qui le font entrer dans le mouvement du Color Field. En 1971, il quitte New York pour Paris, où il passe les dix-sept dernières années de sa vie. Ces œuvres stockées durant une trentaine d’années dans un entrepôt de Harlem (New York) ont pour la première fois été montrées en France par la Galerie ETC grâce au travail d’inventaire et de restauration entrepris par sa veuve et par sa fille.
Jean-Charles Vergne