Jonathan PORNIN
Né à Munich en Allemagne en 1979 - Vit en Allemagne
Jonathan Pornin peint des tableaux apparemment abstraits aux dimensions relativement modestes. Quand j’écris apparemment, j’entends : dans le sens de ce qui apparaît à la surface des choses. Ses tableaux ont l’apparence de l’abstraction comme ils évoquent son histoire tant par les formes – trames, cercles, lignes ondulées – que par les couleurs – on pourrait faire une typologie des couleurs utilisées dans la peinture abstraite – mais ils pourraient tout autant provenir du réel : éléments empruntés à l’univers textile, à l’imagerie scientifique, à des éléments de cartographie, à des signes urbains ou à des schémas didactiques… Ils rabattent vers l’abstraction tous ces éléments, les font tendre vers.
Ses peintures sont le plus souvent constituées de trames qui s’entremêlent dans une rythmique assez simple ou de motifs posés de manière lapidaire sur des surfaces unifiées peintes en aplats mats. La plupart du temps, ce sont tout simplement des oppositions de surfaces. La question n’est pas tant leur origine – et la perversion de celle-ci – ni ce qu’elles peuvent évoquer dans l’histoire de la peinture – bien que celle-ci les nourrisse – que celle de leur arrangement. Il s’agit autant de colliger que de provoquer la collision entre des éléments non miscibles. Le vocabulaire est complexe – peut l’être – mais la grammaire est simple. La question est celle de l’étrangeté des rapports pas de la complexité de leur organisation. Ce qui est mis en scène est l’étrangeté d’un rapport formel, d’une relation entre deux éléments, d’un passage ou d’une coupure de l’un vers l’autre. La question est celle de la mesure de ces hiatus : ni trop éloignée, ni trop proche, ni trop réglée, ni trop déréglée.
Parfois on croit voir dans une surface un indice de paysage – ciel ou sol. Parfois on voit un paysage : ciel bleu, nuages et herbe dans une figuration qui apparaît, pour le moins, naïve. S’il y a une apparence d’abstraction beaucoup de peintures évoquent la figuration. La question n’est pas tant l’opposition entre les deux – ou la réunion des deux – que de jouer, dans une figuration primaire, avec l’ambiguïté de la représentation. Un pictogramme peut évoquer un paysage et un paysage peut ressembler à un pictogramme. L’évidence presque naïve de la figuration est un jeu amusé tant avec le spectateur qu’avec des codes de la représentation. L’on hésite quant au registre : figuration schématique ou abstraction naïve ou figuration naïve ou abstraction schématique et ses peintures tentent de maintenir l’hésitation le plus longtemps possible. Comme l’affirme l’artiste : « La plupart du temps je commence une toile par un recouvrement total de la surface par une couleur ou par une trame ou grille. Dans ce sens-là c’est d’abord abstrait. Par la suite s’ajoutent des indices de paysage qui peuvent être à leur tour recouverts d’éléments empruntés à la géométrie, à l’imagerie scientifique, aux schémas, aux cartes[1] » ou « Comme s’il s’agissait d’une représentation du monde je produis un genre de peinture qui tend vers un paysage. Mais c’est plus l’idée d’un paysage que je peins[2] » ou « La peinture c’est une superposition de surfaces et de lignes, d’effets de couleur. Dans ce sens-là, l’artifice est bien propre à la peinture. C’est pour l’œil. Je tente de donner à voir aussi dans la surcharge de mes surfaces. Si j’essaye de dire quelque chose avec ce que je fais c’est “peinture” plutôt que “paysage”[3]» ou « En effet on peut parler d’ambiguïté car je cherche à créer une ouverture sur le flou pour le regardeur. D’un côté il y a une possible vision abstraite, couleurs, formes géométriques, lignes et trames. De l’autre un semblant de paysage. Ces deux visions s’entremêlent ce qui peut produire une étrangeté[4]. »
Dans les œuvres les plus récentes de l’artiste, ces principes de superpositions de surfaces sont développés avec une hétérogénéité de plus en plus grande dans l’application picturale comme dans la seconde peinture acquise par le FRAC Auvergne, avec ses touches allongées, ses jus dégoulinants, ses hachures verticales, ses semis de ronds, ses grandes arabesques… Le paysage, quoique lisible, se montre en des zones distinctes et différenciées, éclatant toute unicité de lecture.
Mais il ne faudrait pas réduire cette œuvre à un balancement permanent entre figuration et abstraction, entre image et moyens picturaux mis en œuvre. À regarder les peintures de l’artiste, il y une représentation exclusive de paysages à l’exclusion de tout autre thème ou genre ; un paysage où l’horizon, le lointain, la séparation entre le ciel et la terre reviennent en permanence avec ses montagnes, ces nuages moutonneux teintés du soleil couchant qui évoquent, en termes de thématique, le sublime de la peinture romantique germanique et nordique – on songera à Caspar David Friedrich ou à Philipp Otto Runge –, où toute une spiritualité cachée dans la nature se doit d’être dévoilée par l’artiste.
On songera, également, aux peintures de Piet Mondrian des années 1909 telles La mer après le coucher de soleil ou Marine ou Dune II[5] pour n’en citer que quelques-unes et en rappelant que Piet Mondrian adhère, en 1909, à la pensée théosophique pour qui le visible est l’indice d’une vérité universelle dissimulée.
On pourrait également trouver un lien plastique avec le symbolisme de Ferdinand Hodler à partir des œuvres datant de 1904 jusqu’à sa mort en 1918, pour qui l’expérience du paysage était une expérience mystique.
Il y a, chez Jonathan Pornin, la reprise, le détournement, de toute une imagerie reliant nature, mysticisme et symbolisme mais le traitement de celle-ci oscille entre cette naïveté évoquée plus haut et, parfois, une esthétique Pop, voire des effets réalistes ou des éléments purement graphiques et stylisés à l’excès. Mais il n’y a pas qu’un simple effet antinomique entre image et traitement. L’image est certes en partie vidée de ses connotations mystiques, mais elle les possède encore. La peinture accentue ses effets de rhétorique, mais elle se teinte de mysticisme. Elle oscille en permanence entre le plus grand lyrisme et la plus grande distance, entre la croyance en l’image et la dénonciation de son artificialité, entre la grandeur de son effet et la simplicité des moyens employés.
Éric Suchère
[1] Entretien avec Philippe Cyroulnik, dans Corinne Chotycki, Jonathan Pornin, Montbéliard, Le 19, 2012, non paginé.
[2]Ibid.
[3]Ibid.
[4]Ibid.
[5] Toutes œuvres au HaagsGemeentmuseum de La Haye.