Judit REIGL

Née en Hongrie en 1923 - Décédée en 2020

Judit Reigl a été, comme Jean Degottex et Simon Hantaï, proche du Surréalisme – puisque sa première exposition personnelle à Paris était présentée par André Breton – mais à l’instar de ces deux artistes, elle s’est éloignée de l’imagerie onirique propre à cette peinture pour développer un langage abstrait fortement individualisé.

Guano est, en fait, non le titre d’une toile mais celui d’une série. Il s’agissait d’un ensemble de toiles placé sur le sol de l’atelier qui a recueilli toutes les taches de peintures mais aussi toutes les empreintes de pas des visiteurs. C’est ce qu’explique le titre puisque Guano est le nom péruvien d’un engrais composé d’excréments d’oiseaux. En cela, bien que le procédé puisse sembler rudimentaire, cette toile est bien dans la continuation de procédés surréalistes. On retrouve la beauté objective du hasard prônée par André Breton empruntant à Lautréamont la célèbre formule : « Beau comme la rencontre sur une table de dissection d’un parapluie et d’une machine à coudre ». Il ne s’agit pas, cependant, uniquement d’une image littéraire – puisque cette série évoque certaines pratiques picturales surréalistes. Tout d’abord, le frottage et le grattage redécouverts en 1926 et 1927 par Max Ernst qui permet la révélation de a surface des choses sauf qu’à la différence de Max Ernst, elle n’utilise pas la matière obtenue afin de provoquer l’arrivée d’une image, elle n’interprète pas l’informel. Ce procédé rappelle, également, le « dripping » inventé par Masson ainsi que les décalcomanies d’Oscar Dominguez dans lesquels un paysage est créé par la pression d’une tache d’encre entre deux feuilles sans aucune autre intervention postérieure. Cette peinture trouve, également, son écho dans des problématiques qui lui sont contemporaines puisque entre 1957 et 1961, Jean Dubuffet fait l’apologie, avec tes Texturologies et les Matériologies de la poésie des sols et des surfaces terrestres. Plus profondément, le questionnement sur le hasard est permanent dans les années 50, que ce sort de manière théorique (avec L’Œuvre ouverte d’Umberto Ecco), picturale ou musicale – John Cage, en 1952 crée 4’33’’, pièce qui amène le public à écouter l’ensemble des sons ambiants.

Bien que Judit Reigl ne reviendra pas sur de tels procédés, cette série reste un moment fondateur de son travail puisqu’elle ne cesse de s’interroger sur la trace du corps et sur le geste. Que ce soit la trace laissée par le mouvement du corps (dans la série Déroulement de 1976), par une image résiduelle (dans la série Face à de 1989-90) ou, ci, par les résidus, eux-mêmes, d’un ou de plusieurs corps en action. Les Dessins d’après musique entretiennent une relation avec une autre œuvre que possède le FRAC d’Auvergne intitulée L’art de la fugue. Dans ces trois œuvres, l’écoute de la musique impose un rythme à récriture, conditionne le corps dans la trace que celui-ci va laisser, trace scripturale non signifiante dans les dessins et trace picturale dans la toile proche du résidu d’une chorégraphie. Bien qu’ils puissent évoquer les Fausses lettres de Bernard Réquichot en 1961 ou certains dessins d’Henri Michaux, il s’agit moins de simuler une écriture que d’emporter celle-ci dans un territoire que la main ne connaît pas, d’en faire une sorte de sismographe émotionnel et gestuel dans les limites d’une simple feuille format A4.

Eric Suchère