Yvan SALOMONE

Né en France en 1957 – Vit en France

La pratique d’Yvan Salomone prend directement à rebours ce que l’on attend d’elle. Le peintre fait des aquarelles de paysages de bords de mer. Cette seule phrase convoque un certain nombre d’images et d’idées préétablies qui laissent peu de place à la surprise, et pourtant… Les aquarelles en question ne sont pas réalisées sur des petits carnets que le peintre glisse dans sa poche au hasard de ses pérégrinations, elles mesurent – toutes – cent-quatre centimètres sur cent-quarante-cinq. La fidélité absolue à ce format unique implique déjà quelque chose de systématique qui échappe à ce que l’on croit connaître du genre. Cette régularité n’est pas la seule. Salomone ne peint pas au gré de ses humeurs, des saisons, de la lumière (cette fameuse lumière que le peintre est censé traquer) ou de l' »inspiration » ; il réalise une aquarelle par semaine, ni plus, ni moins. Le procédé prend dès lors le pas sur l’élaboration d’images qui apparaissent (et sans doute de façon trompeuse) comme de simples occasions de remplir ce curieux contrat. Les œuvres acquièrent donc un statut ambigu, entre deux options a priori radicalement différentes, entre prétexte à l’exécution d’un programme et recherche picturale sur le motif, entre Opalka et Cézanne. L’inscription de chaque peinture dans la série est indiquée par un tampon, au bas de la peinture. Ainsi « 3/02/97 » désigne une aquarelle réalisée la troisième semaine de février 1997. Enfin, un dernier élément peut surprendre. Alors que l’aquarelle est une technique traditionnellement dévolue à des sujets jolis ou pittoresques, ceux de Salomone ne sont ni l’un, ni l’autre. Nous indiquions en effet plus haut qu’il exécute des vues de bord de mer mais il convient de préciser. On ne trouve dans son travail ni plage ensoleillée, ni baigneurs, ni phare dans la tempête, ni vieux loup de mer en train de repriser ses filets, ni rien de ce qui constitue l’iconographie habituelle des aquarelles de stations balnéaires. Si Salomone peint effectivement les abords du port de Saint-Malo, il s’intéresse exclusivement aux no man’s lands de la zone de transit. No man’s land est ici à prendre au pied de la lettre puisque aucune figure humaine n’est représentée. On ne voit que le calme silencieux de grues immobiles, de conteneurs abandonnés, de camions arrêtés, de transbordements en attente. Il y a quelque chose de Denis Hopper dans l’étrangeté de ces zones d’activité intense soudainement inertes.
L’eau est tout de même présente, et même envahissante, dans la technique elle-même. Les aquarelles de Salomone sont effectivement très liquides et, malgré un dessin très dépouillé et des perspectives presque géométriques, toutes les choses représentées semblent menacées de dissolution. Les masses colorées laissent voir le blanc du papier, les traces du pinceau, des auréoles de liquidités différentes… La mer est donc bien présente, au travail plus qu’à l’image, comme elle est peut-être présente dans la sensation d’engloutissement et de miroitement que Salomone confère à ses aquarelles lorsqu’il souhaite les présenter côte à côte, en grand nombre, sur toute la surface d’un mur.

Karim Ghaddab