Alain SICARD

Né en France en 1963 - Vit en France

Alain Sicard a peint depuis 1996, plus de mille trois cents peintures, peintures qui constituent un journal pictural de tous les possibles, de tous les gestes, de toutes les surfaces, de tous les accords colorés possibles – journal encore en cours où toutes les solutions, tous ces possibles n’ont pas encore été effectués ou épuisés.

Il peint, dorénavant, sur un support, un papier « Klöckner » qui lui permet de peindre assez longuement dans le frais et même d’effacer la peinture pour la recommencer. Chaque peinture est faite en une séance – ratée ou réussie – pendant laquelle, il peint sur une feuille, efface, recommence, jusqu’à trouver la solution ou jusqu’à épuiser cette surface. Il ne revient pas sur les peintures dans une séance ultérieure. Soit la peinture est acceptée par l’artiste, soit elle est refusée, mais elle n’est jamais reprise. Il y a une grande rapidité dans le geste et peu de temps d’arrêt – l’arrêt viendra après coup. Il s’agit pour lui de peindre d’un geste autoritaire jusqu’à ce qu’il trouve quelque chose : « La question de l’autorité du geste pictural a été un enjeu important de ces dernières années. Cela m’a conduit à être plus rapide et plus décisif dans ma pratique. Jusqu’alors, à force de mélanger les couleurs, je m’abandonnais trop régulièrement à ce que j’appelle mon bourbier pictural¹ ».

Alain Sicard peint, sur ces feuilles, des peintures figuratives et des peintures abstraites ou des peintures dans lesquelles la différenciation entre abstraction et figuration n’a plus aucun sens. Il peint à partir de souvenirs de peinture, des souvenirs de peintures vues en vrai ou des souvenirs de peintures vues en reproduction ou, pour être plus précis, Alain Sicard peint et, parfois, il rencontre au cours de sa séance picturale, des souvenirs, des échos et des réminiscences de peinture. La peinture trouve sa solution lorsque l’écho, la réminiscence évoquent un possible pictural encore inusité ou lorsque un élément active une mémoire involontaire qui provoque le reste de la peinture – bien que cela ne soit pas forcément un gage de réussite. Ainsi que l’artiste l’affirme : « Je ne pense ma peinture que par rapport à la Peinture. Une fois devant la feuille blanche par contre, j’oublie tout ça, je redeviens peintre. Je me demande tout de même ce que chaque séance va bien pouvoir me révéler : s’il s’agit de la mémoire des petits maîtres que j’affectionne tant, Waldmüller, Slevogt, Zorn, Boldini ou autres, tout va bien, mais parfois l’image qui apparaît devient insoutenable, dans le sens où elle fait resurgir un référent nauséabond, entrevu un jour dans un mauvais salon de peintres du dimanche. Peindre, c’est un peu comme retourner de grosses pierres, je ne sais jamais ce que je vais trouver en dessous² ! »

Il s’agit donc, aussi, d’une visite, à travers sa peinture, de la peinture des autres, la « bonne » ou la « mauvaise » peinture, la peinture de bon ou mauvais goût pour en revoir les moments de brio ou les poncifs, les effets les plus usités ou ceux qui sont oubliés, mais il ne s’agit pas pour lui de prendre de la distance pour se moquer ou d’ironiser sur cette pratique, mais, en faisant référence, en citant, en détournant, en pastichant ou en variant, de s’approprier la peinture, ces peintures, dans le rapport le plus affectif qu’il peut entretenir avec elles, que nous pouvons entretenir avec elles. Chaque peinture est donc un souvenir d’une peinture réappropriée qu’il peut mettre en scène dans des ensembles qui permettent de voir les écarts picturaux, les bonds stylistiques, l’hétérogénéité formelle si présente dans ce travail mémoriel. C’est ce que l’ensemble de cinq peintures acquis par le FRAC Auvergne tente de montrer, comment dans des formats presque rigoureusement identiques, se font les bonds et se constituent les écarts.

Notons, enfin, qu’Alain Sicard, appartient à cette génération née en même temps que le concept de Musée Imaginaire d’André Malraux et qu’il entreprend cet hommage aussi distancié que passionné en partant, justement, de la question de la reproduction à l’œuvre dans le concept de Malraux, que ce soient le cadrage de détail comme l’agrandissement photographique : « J’aime feuilleter très rapidement des monographies d’artistes, pour n’entrevoir que des bribes d’œuvres, des morceaux de peinture (…) Lorsque vous regardez des catalogues avec des reproductions en noir et blanc, vous vous préparez un magnifique moment d’émotion : découvrir un jour l’original dans un musée. J’aime ces distorsions entre la peinture et sa reproduction³. »

Eric Suchère

1 – Alain Sicard, « entretien avec Audrey Gay-Mazuel », dans Alain Sicard, Peintures 2003/2011, Rouen, catalogue de l’exposition, Musée des Beaux-arts de Rouen, 2011, n. p.
2 – Ibid.
3 – Ibid.