Kimber SMITH
Né aux États-Unis en 1922 - Décédé en 1981
Peintre américain né en 1922, Kimber Smith étudie la peinture à New York avant de découvrir la peinture française dans les années 1940, alors qu’il était marin, lors d’une escale à Marseille (principalement Matisse, Van Dongen et Bonnard). Il expose à New York au tout début des années 1950 en pleine explosion de l’expressionnisme abstrait école à laquelle il se rattachera toute sa vie puis s’installe à Paris entre 1954 et 1965 où il fréquente Sam Francis, Joan Mitchell ou Shirley Jaffe. Il revient aux États-Unis à cette date jusqu’à sa mort en 1981 et ne retournera à Paris qu’entre 1974 et 1975. Sa peinture, bien qu’exposée régulièrement est restée largement invisible pâtissant sans doute de sa marginalité géographique, n’étant ni tout à fait inscrit dans la culture française, ni tout à fait dans la culture américaine : « En Europe, j’ai été assez mal reçu, étant un peintre américain (…) Tous les peintres [américains] qui vivaient en Europe étaient plus ou moins pénalisés… pour deux ans à Paris, la pénitence était de quatre ans… il y avait une discrimination… moi, après douze ans en France1… » La proximité de cette œuvre avec celle de peintre apparus après sa mort (Bernard Piffaretti par exemple), permet de réévaluer celle-ci et d’en percevoir, aujourd’hui, toute la contemporanéité.
On peut distinguer trois périodes dans son œuvre : une première période gestuelle jouant de la saturation de l’espace dans les années 1950, une plus grande présence de la structure avec un geste de moins en moins présent dans les années 1960 — dans une peinture plus sèche à l’acrylique alors que les peintures précédentes étaient à l’huile — puis une peinture très liquide, rapide, presque ébauchée jouant de plus en plus des dissonances dans les années 1970, période à laquelle appartient l’œuvre du FRAC Auvergne.
Rosie’s Watermelon Man est une œuvre d’une grande simplicité, d’une simplicité presque déconcertante : un geste vertical en zigzag vient lutter contre une autre ligne verticale composée de ronds superposés le tout sur un fond non peint ne montrant que son enduit — un enduit, d’ailleurs, assez mal badigeonné comme on peut le voir en bas à droite. L’œuvre insiste sur la verticalité et sur la traversée de celle-ci dans un format qui l’accentue exagérément (195 x 115 cm) et relativement étroit. Ce que l’on lit d’abord et qui est renforcé par la simplicité de la couleur (une gamme de jaunes orangé) est la structure : « Moi je pars d’une idée structurelle (…) La structure m’intéresse… elle tient l’ensemble ; on a dit très souvent que je suis coloriste, c’est peut-être vrai mais je m’en fiche de la couleur : je prends deux ou trois tubes, parfois ce sont les plus remplis… (…) La couleur n’est pas vraiment importante pour moi2 ».
La structure est primordiale et elle se montre, ne semble montrer qu’elle, sans détour, dans une évidence peut-être un peu trop grande, voire un peu trop littérale. Cette évidence est mise en danger non seulement par l’aigreur trop forte de la couleur, mais, également, par la surface, une surface maigre, rêche, âpre exécutée sans éloquence, ce que relevait, il y a déjà longtemps, Pierre Wat : « La structuration forte (…) est masquée par le négligé apparent du geste. Une peinture sans ostentation : la distance, ici, est mise à distance des excès du lyrisme, du littéral, du beau, au profit d’une pratique allusive du peu de moyens — des couleurs souvent sales — qui n’expliquent jamais rien, n’achèvent jamais rien et laissent le regardeur se débrouiller avec ce qui a été fait3 ».
Le négligé du geste, visible jusque dans la signature de l’artiste marque non seulement une distance, mais, surtout, le propos essentiel de cette peinture qui est l’allusion. La peinture de Kimber Smith est allusive, suspension du discours au profit d’une suggestion, n’offrant que le début d’un énoncé dont on attendra en vain qu’il se poursuive4, peinture ouverte, amorce tout aussi fulgurante que légère, s’inscrivant presque en un instant et visible en un instant.
Eric Suchère
1 Kimber Smith « Entretien avec Stanislas Ivankow », Art press n° 18, mai/juin 1975, repris dans Kimber Smith, œuvres sur papier, Livourne, edizioni Roberto Peccolo Livorno, 1995, n. p.
2 Ibid.
3 Pierre Wat, « Kimber Smith, à contretemps », dans Kimber Smith, hommage de ses amis à Paris, 1954-1965, Paris, galerie Jean Fournier, 1996, n. p.
4 En 1997, Roberto Peccolo avait écrit un texte sur l’artiste intitulé Un signe, une tache orange et après… et ce titre magnifique semble résumer toute la pratique de l’artiste avec cet « et après » suivi de points de suspension.