Peter SORIANO
Né aux États-Unis en 1959 - Vit aux Etats-Unis
Les sculptures de Peter Soriano sont constituées, depuis 1992, de résine colorée à l’exclusion de tout autre matériau. Cette sculpture s’oppose, donc, à la sculpture classique qui emploie traditionnellement le bronze, la pierre ou le bois, comme à la sculpture moderne où prédominent l’acier, le fer et autres métaux de construction. Elle réfute, ainsi, l’idée préconçue que l’on a ou pourrait avoir de cet art. Cette appropriation d’une matière contemporaine lie, en partie, cette sculpture à la production d’objets de consommation courante plus qu’au monde des objets d’art.
Si la résine a son importance, c’est non seulement dans le fait qu’elle permet d’obtenir assez simplement n’importe quelle forme – sans rivets, soudures, problème de fonte ou d’armature – et parce qu’elle est résistante mais, également, parce que ce matériau semble ne pas avoir de poids, qu’il devient impossible, contrairement aux matériaux précités, de définir par association celui-ci. Or, on le sait, la sculpture se préoccupe, principalement de poids, de volume et, donc, de masse. Peter Soriano annule, ainsi, une des préoccupations modernistes : l’enjeu formel de la sculpture depuis Brancusi jusqu’aux minimalistes est, entre autres, de se définir par rapport à ses propriétés.
L’emploi de la couleur – de couleurs volontairement saturées ou criardes – annule même la perception de la matière. Non seulement le spectateur hésite quant à l’identification de ce qui constitue ces formes – là encore en réfutation de la sculpture minimaliste dans laquelle ce qu’on voit est ce qui est là – mais elles viennent, même, produire des leurres : s’agit-il d’objets gonflables, remplis d’eau, d’objets mous ou durs ? L’une des préoccupations de la sculpture américaine des années soixante a été de faire rentrer le mou dans la catégorie des éléments sculpturaux – en opposition à l’érection qui caractérise, presque depuis l’origine, cet art. Peter Soriano n’est ni dans l’un, ni dans l’autre, il effectue une décorporalisation des objets en refus des catégories établies comme le masculin – le dur et l’érection – ou le féminin – le mou et l’organique.
Ses formes sont, elles aussi, dans une indécision quant au répertoire formel qu’elles citent ou emploient. Elles peuvent aussi bien évoquer des pièces mécaniques, des jouets d’enfants, des formes biomorphiques, des animaux de dessins animés qu’une sorte de fatras improbable dans lequel l’ensemble de ces répertoires et références se combineraient. Ni tout à fait artificielles, ni tout à fait naturelles, elles sont des hybridations. Ainsi, Polyester Points of Contact peut rappeler un insecte d’eau, une soucoupe volante ou même, en poussant un peu, la figure du marcheur de Giacometti.
Cette dernière sculpture définit également dans une indécision quant à son statut puisqu’elle repose à la fois contre le sol et contre le mur. Une sculpture se doit, si elle est bien réalisée, d’avoir son propre équilibre sans étais – c’est à dire une juste répartition du poids dans la forme – ici, l’équilibre ne peut être obtenu que dans une contradiction d’une des propriétés de la sculpture et dans l’impossibilité qui en résulte de pouvoir tourner autour. En même temps c’est cette impropriété qui définit sa forme, lui donne sa singularité. Elle agit, donc, comme un métalogue auquel, d’ailleurs, renvoie le titre – un métalogue est une figure de style dans laquelle la forme du discours reprend le sujet du discours. Elle se définit, ainsi, comme une absurdité : la sculpture parle d’elle-même et en parlant d’elle même ne dit rien que son échec à en être une.
Eric Suchère