Pierre TAL-COAT

Né en France en 1905 - Décédé en 1985

Tal-Coat, né en 1905 et mort en 1985, ne semble pas, de prime abord, appartenir à ce que l’on appelle l’art contemporain. Sans doute son appartenance à l’Ecole de Paris a rendu invisible une partie de son œuvre lorsque le discrédit a été jeté sur ce faux mouvement. Reste que cette peinture appartient, par la date de sa création, à la période contemporaine et que la dernière partie du travail de Tal-Coat mérite d’être réévaluée. Elle définit, avec Jean Degottex et Eugène Leroy, un pôle possible permettant de définir des interrogations et des filiations avec la peinture contemporaine. Elle entretient, par exemple, certaines similitudes – ou analogies, c’est selon – avec d’autres œuvres de la collection d’artistes plus jeunes comme Marian Breedveld ou Helmut Dorner.
Alors que dans des peintures plus anciennes, Tal-Coat utilisait une technique de rehauts, c’est-à-dire un fond lisse sur lequel étaient placés des empâtements – en cela la méthode est ancienne et peut rappeler celle de Rembrandt ou de Turner – ici, c’est l’ensemble de la surface qui est traitée en pleine pâte, une pâte épaisse et onctueuse. Si le geste peut sembler minime, il introduit une différenciation quant à l’espace. On peut affirmer que la première technique induit la notion d’image. Un fond sur lequel se superpose une épaisseur de matière définit une tridimensionnalité, incite à penser le fond comme décor et l’empâtement comme sujet. Elle indique la relation qui unit la peinture abstraite de Tal-Coat à son origine : le paysage. Elle permet de lire la peinture comme paysage abstrait – ou comme une abstraction d’un paysage. Dans cette peinture, par contre, l’absence de différenciation dans la matière provoque une autre lecture. L’analogie iconique avec le paysage disparaît en même temps que la différenciation entre fond et forme. Si cette peinture évoque le monde sensible, ce n’est plus dans sa relation à un genre pictural et, par-là, de représentation, le paysage, mais dans la manière dont la matière de la peinture nous amène à penser la matière du monde non dans son illustration ou son imitation – comme dans les Texturologies ou Matériologies de Jean Dubuffet – mais dans un équivalent sensible – c’est-à-dire faisant appel aux sens. En cela, la pratique est phénoménologique – la matière de la peinture est un monde en soi, réel et autonome.
Evidemment, il serait tentant de continuer à lire cette peinture comme paysage, ne serait-ce que par son format horizontal qui évoque celui d’une marine – dans ce cas, le fond brun deviendrait un ciel mais il s’agirait plus d’une habitude culturelle que de la réalité de ce que propose la peinture. Les taches grises, par exemple, émergent du fond autant qu’elles le recouvrent. Loin de constituer une délimitation comparable à celle de l’horizon, elles définissent un déséquilibre dans la composition par leur situation périphérique, voire incommode. Elles établissent une lutte avec l’ensemble de la surface, tentent de surnager autant que d’établir un contrepoint.
Enfin, il faut s’attacher, dans cette œuvre, à deux autres éléments. La modulation de la surface est d’abord une modulation qui n’est pas de l’ordre de la tonalité ou de la valeur mais une modulation due à l’épaisseur même de la peinture. Ce sont l’ensemble des sous-couches, des strates précédentes qui modifient une couleur unique, permettent sa douce vibration. Ce sont ces mêmes strates provoquées par un processus empirique d’élaboration qui forment ce bord ourlé, vibratoire, élément tout aussi signifiant que l’ensemble de la surface.

Eric Suchère