Jessica WARBOYS

Née en Grande-Bretagne en 1977 - Vit en France et en Grande-Bretagne

Films, peintures, objets, sculptures, écriture… l’œuvre de Jessica Warboys est polymorphe et cette polymorphie trouve sa cohérence dans l’intérêt que porte l’artiste à la question de la temporalité et du mouvement. Il en va ainsi des Sea Paintings, ces œuvres de formats souvent monumentaux, réalisées sans intervention humaine, ou presque, juste par l’action du temps et de l’érosion créée par les éléments naturels De grandes toiles imprégnées de pigments sont immergées sous la surface de l’océan pour que le flux et le reflux crée, de façon aléatoire, de vastes champs colorés. Si la mer est mise à contribution pour les Sea Paintings, il en va de même avec le soleil pour Masked, acquise par le FRAC Auvergne. Cette œuvre emprunte sa technique à celle du cyanotype mais en déplaçant celle-ci, habituellement réservée à de petits formats, vers une réalisation monumentale.

Un mélange photosensible est appliqué sur la surface de la toile puis mis à sécher dans l’obscurité, ce qui lui donne une couleur jaune verdâtre. Jessica Warboys insole les pans de toile au soleil en ayant préalablement disposés sur ceux-ci des objets qui, une fois l’insolation opérée, apparaissent en négatif alors que le reste du support prend une couleur bleue obtenue par réduction du fer sous l’action des rayons ultraviolets. Le résidu de fer encore présent sur la toile est éliminé par rinçage à l’eau. Les différents lés utilisés pour la réalisation de ce cyanotype sont ensuite montés les uns avec les autres, comme on monterait les rushs d’un film, afin de constituer ce qui deviendra l’oeuvre finale et, comme dans un montage, certaines parties peuvent faire l’objet de redécoupages pour être ajustées avec d’autres parties. Ainsi, les deux carrés tronqués qui figurent dans la partie inférieure de l’œuvre coïncident parfaitement avec les deux carrés tronqués qui bordent celle-ci sur le côté gauche : ces deux parties n’en formaient qu’une au départ et ont été découpées et «montées» par Jessica Warboys. Du coup, le spectateur qui relie mentalement ces formes entre elles peut tenter la même opération avec les autres formes quadrangulaires de la partie supérieure qui, en définitive, ne coïncident avec rien, et permettent d’imaginer que la partie tronquée de ces formes ait été «coupée au montage» pour être définitivement abandonnée ou, peut-être, servir dans un autre «montage», une autre œuvre. Cette œuvre, qui tient autant de la peinture que de la photographie, utilise le découpage et l’assemblage sur un mode que l’on peut aisément qualifier de cinématographique – l’artiste menant par ailleurs une activité de cinéaste d’une grande importance dans son œuvre. Masked est dès lors une œuvre peinte qui, au-delà des masquages qu’elle utilise pour créer ses motifs, «masque» ses propres caractéristiques stylistiques, enfouissant la peinture derrière le cyanotype, le cyanotype derrière un format hors du commun, et une forme expérimentale de cinéma derrière une abstraction et une technique d’assemblage qui cache ce qu’elle est vraiment.

Jean-Charles Vergne