Anne WENZEL

Née en 1972 en Allemagne - Vit et travaille à Rotterdam

Les sculptures de l’Allemande Anne Wenzel constituent une des approches les plus originales de la céramique contemporaine, tant du point de vue technique (avec un protocole de cuisson dont elle est l’inventeur) que dans les thèmes abordés. Le choix de la céramique est en effet au service de sujets qui trouvent une cohérence avec le feu puissant que nécessite l’élaboration de sculptures d’une grande fragilité : son domaine de recherche concerne depuis plusieurs années la question de la guerre, des idéologies, des phénomènes commémoratifs et de leur propension à célébrer une certaine forme d’héroïsme et, plus généralement, du penchant de l’humanité pour l’autodestruction.

Ces dernières années, Anne Wenzel a étudié avec attention la manière dont sont conçus les sites de commémoration, visitant un grand nombre de mémoriaux dédiés aux deux guerres mondiales, observant la conception architecturale de ces monuments et les mécanismes commémoratifs qu’ils sous-tendent. Les couronnes de fleurs de la série « Requiem of Heroism » évoquent, de manière internationale, les cérémonies commémoratives et leurs déposes de gerbes – soldat inconnu en France le 11 novembre, cérémonies à la mémoire des victimes de la Seconde Guerre mondiale aux Pays-Bas chaque 4 mai, etc. Ces dates qui scandent les calendriers de toutes les nations correspondent paradoxalement au point de rencontre entre le nationalisme et le pacifisme d’un « plus jamais ça ». Les soldats tombés pour leur patrie sont honorés en héros alors que simultanément souvenir des horreurs de la guerre est ravivé dans toute sa monstruosité. Prenant l’exemple des Pays-Bas, Anne Wenzel explique : « Durant la Seconde Guerre mondiale, les Hollandais n’étaient certainement pas si innocents qu’ils le prétendent. Pendant des années, il a été affirmé que les Hollandais s’étaient impliqués dans la résistance mais la vérité est assez différente. De nombreux Hollandais ont collaboré avec les Nazis, participant parfois activement à l’extermination des Juifs. » Exercice de style autour du monument aux morts, la série Requiem of Heroism renvoie à une iconographie du déclin rappelant les décadents du 19ème siècle, de Gustave Moreau à Des Esseintes. Cette vision sombre, qui traduit les mythes d’hier en drames contemporains en appelle autant à l’exubérance du baroque du 17ème siècle qu’à l’art grotesque apparu au 15ème siècle en Italie.
« Avec la distance d’une Allemande à l’étranger, je me suis demandée pourquoi autant de personnes avaient pu soutenir l’idéologie nazie. Je me suis surtout intéressée à la dimension visuelle des idéologies. L’architecture, les monuments, les parades, les drapeaux, les uniformes. Tout cela faisait partie d’une stratégie visant à permettre aux personnes de comprendre, ou mieux encore, de ressentir, qu’elles appartenaient à un seul grand mouvement fort. Je voulais saisir comment cette matérialisation visuelle et plastique des idéologies pouvait influencer nos esprits. Et j’ai donc commencé à visiter de nombreux mémoriaux, monuments, bâtiments, cimetières, liés à la guerre. Pour me rendre compte par moi-même. J’ai commencé à Berlin, où existent encore de nombreux bâtiments et monuments anciens. Puis je me suis rendue en Belgique et dans le Nord de la France. Ainsi qu’en Chine. Lorsque vous en voyez beaucoup, vous commencez à discerner un langage assez universel. Tous ces monuments, ces bâtiments, ces cimetières, ont le même but : nous convaincre que leur idéologie est la seule, l’unique qui vaille ; et même si ces idéologies peuvent parfois s’avérer contradictoires, elles utilisent un même langage visuel et architectural. De grandes places, de hautes tours, des drapeaux flottant dans le vent. Ils sont tous destinés à faire croire que le pays est grand, que tous ces hommes disparus étaient des héros. Mais dans le même temps, nous savons tous que la réalité de la guerre est loin d’être héroïque. C’est une réalité sale, boueuse, cruelle. Et même si nous avons conscience du côté obscur de la guerre, nous sommes impressionnés par ces monuments, ces drapeaux, ces bâtiments. Même si nous connaissons le côté sombre de l’histoire. Cette ambigüité m’intrigue. Et elle constitue le fondement de la série Requiem of Heroism, dont le principal propos est de poser ces questions. Et de ne pas juger. » (Anne Wenzel, Art Press 2, numéro spécial céramique, janvier 2014).