Jérôme ZONDER

Né en France en 1974 - Vit en France

Influencé par les dessins de Jean-Olivier Hucleux, de Pierre Klossowski, ainsi que par la peinture d’histoire d’Otto Dix, Jérôme Zonder a réalisé en 2013 une série intitulée Chairs Grises, consacrée à la représentation d’images extraites des heures les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale. Parmi ces images, quatre en particulier posent la question de la possibilité de la représentation des événements les plus extrêmes de notre histoire contemporaine. Il s’agit des quatre uniques photographies prises à Auschwitz-Birkenau depuis l’intérieur d’une chambre à gaz par des Juifs membres du Sonderkommando, cette section composée de prisonniers chargés du traitement des corps dans le contexte de la Solution Finale nazie. Début août 1944, des membres du Sonderkommando arrivent à faire sortir de l’entrepôt où sont déposés les biens confisqués aux prisonniers un petit appareil photo qu’ils trouvent dans un landau, grâce auquel ces quatre photographies seront rendues possibles au prix d’une prise de risque extrême. Deux clichés des fosses d’incinération sont réalisés depuis l’intérieur de la chambre à gaz du Krematorium V, puis deux autres photographies sont prises en extérieur, où l’on distingue la partie arborée où les détenus doivent se déshabiller avant la chambre à gaz. L’appareil est ensuite caché dans un tube de dentifrice par une employée de la cantine SS. Les photographies seront transmises le 4 septembre 1944 à la résistance polonaise de Cracovie, accompagnés d’une note expliquant leur contenu. L’appareil photo sera enterré dans le sol du camp.
Ces quatre images ont fait l’objet d’une étude remarquable par l’historien Georges Didi-Huberman (Images malgré tout, 2003) et constituent également l’un des thèmes du film Le Fils de Saul réalisé en 2015 par László Nemes (en hommage duquel Georges Didi-Huberman a également publié Sortir du noir en 2015). Ces « quatre bouts de pellicule arrachés de l’enfer », comme les appelle Georges Didi-Huberman ont été reproduits par Jérôme Zonder sous la forme de grands dessins réalisés à l’aide de milliers d’empreintes de ses doigts. Chaires Grises #6 est l’une de ces images. A propos de cette série, Jérôme Zonder déclarait dans un entretien : « Lorsque j’ai commencé à travailler sur cette série, j’ai vraiment eu conscience de me heurter à un tabou. […] Je n’entretiens aucun rapport de fascination avec ces images. A vrai dire, j’ai eu très peur de m’y mesurer. D’abord, à cause du diktat imposé par ceux qui ont décrété un «irreprésentable». Ensuite, parce que ces images me terrifient profondément. Si j’ai finalement décidé de m’y confronter, c’est pour des motifs propres au dessin, qui découlent d’un constat d’ordre biologique : le corps humain est une accumulation d’atomes. La Shoah et Hiroshima symbolisent la destruction totale de l’humanité : cela nous renvoie à des corps réduits à néant, décomposés atome par atome. Les potentialités du dessin pour incarner cette réalité physique me semblaient beaucoup plus pertinentes et appropriées que la peinture. Il fallait que le dessin coïncide avec l’histoire. […] J’ai compris qu’il fallait saisir la mémoire de ces images du bout des doigts plutôt que de la réécrire. Je ne peux pas franchement l’expliquer, c’est une évidence du corps.1 »

Jean-Charles Vergne

1- « Faire corps avec l’histoire », Nathan Réra, dialogue avec Jérôme Zonder, dans Jérôme Zonder, Fatum,
Paris, La Maison Rouge, 2015, p.38-39