Habiter le chaos

Johanna Mirabel – Habiter le chaos

Du 20 septembre 2025 au 18 janvier 2026

Si Johanna Mirabel s’inscrit dans le grand retour de la peinture figurative auquel le monde de l’art assiste depuis quelques années, elle emprunte cependant une voie singulière en portant ses représentations au-delà du réel ou, plus exactement, en faisant émerger et coexister aux côtés de l’espace réel un autre monde. À la surface des œuvres, le réel se distord, s’élargit pour faire advenir ce qui pourrait être appelé un arrière-monde imaginaire, qui se fraie un chemin dans la transparence de la matière, s’installe au creux de la réserve, se ramifie le long des nombreux points de fuite. Au sein de toiles de grand format, ce nouvel imaginaire prend place dans un
espace résolument ouvert, perméable à toutes les influences et à tous les langages.
Présentant une vaste sélection d’œuvres, l’exposition Habiter le chaos met en évidence l’identité plastique plurielle que Johanna Mirabel a élaborée, dans une affinité forte avec la pensée de l’écrivain martiniquais Édouard Glissant auquel fait référence le titre de cette exposition. Dans son concept du « chaos-monde », Édouard Glissant nomme chaos le profond bouleversement pluriculturel que l’histoire agitée du monde a provoqué. Pour lui, il est aujourd’hui fondamental d’envisager ce chaos dans une acceptation positive – plutôt que de l’appréhender comme une menace potentielle – car il a créé des zones de contacts fécondes où de nombreuses identités se rencontrent, s’influencent, se forment.
Sensible à cette pensée, Johanna Mirabel élabore sa peinture en miroir de la dynamique du monde, transformant l’espace de sa toile en un espace d’échanges hybride et mouvant, où les identités ne sont jamais figées. À la surface des œuvres, les personnages se tiennent dans un entre-deux, entièrement perméable à ce qui les entoure – à l’image des veines du bois se confondant par transparence à celles des corps – et en même temps dans l’affirmation de leur présence, qui se traduit sur la toile par un travail du dessin plus minutieux.
L’intérêt récent de l’artiste pour le carnaval de Guyane prolonge ces réflexions. Parfait exemple de syncrétisme, le carnaval est un moment de puissance transgressive où toutes les identités (sociales, de genre…) sont, pour quelques jours, redéfinies. Le monde de Johanna Mirabel ne se livre pas pour autant dans un universalisme mièvre, il demeure un monde intranquille à la surface duquel la catastrophe n’est jamais loin. Les scènes d’inondations ou d’incendies, la référence aux ex-voto insinuent la menace d’un effondrement possible et imprévisible. Face à ce constat, Johanna Mirabel cherche à penser, depuis l’intime, d’autres façons d’habiter le monde qui embrasseraient toutes les sensibilités de ce chaos.


Née en 1991, Johanna Mirabel est diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2019. La même année, elle est lauréate de la 10ème édition de la Bourse Révélations Emerige. En 2023, elle bénéficie d’une résidence à la Fondation H et participe à l’exposition Immortelle au MO.CO (Montpellier).

Habiter le chaos est la première exposition personnelle de l’artiste dans une institution.

Laure Forlay, commissaire de l’exposition

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SILLAGES

«Parler sans émettre des sons est plus fort que les mots parce que les mots disent des mensonges. Quand vous vous exprimez avec des gestes, vous êtes juste témoins du moment.» Les mots de la chorégraphe Carolyn Carlson résonnent d’un écho particulier au coeur de cette exposition par la proximité qu’ils entretiennent avec le processus de création des artistes présentés : primauté du geste sur le verbe, expérience physique, méfiance face au langage, intensité de l’instant…
À partir de la sélection d’une quarantaine d’oeuvres mêlant la jeune création à des artistes historiques, l’exposition Sillages s’attache à dénouer les enjeux propres à l’acte de création. Privilégiant une approche sensible des oeuvres, le parcours se tient à distance d’un contexte artistique qui aurait tendance à valoriser davantage ce qui est dit à ce qui est montré. À la surface de ces oeuvres, le geste seul fait sens, loin de toute autre forme de discours. Parcourir du regard les surfaces qu’il a traversées permet de remonter le processus de création, comme on remonterait le sillage formé par un bateau après son passage. C’est entrevoir les turbulences qui ont agité le processus, les doutes quant aux directions prises, les changements de cap – anticipés ou non -,les points de non-retour atteints par le geste de trop…
Si la sélection se concentre sur ce que l’on nommera par commodité des oeuvres abstraites, c’est pour mieux révéler la présence du geste, libéré des oripeaux séduisants de la figure. Mis à nu, le geste s’exprime, dans une grande ampleur (Gérard Traquandi), surgit telle une fulgurance (Alain Sicard), accompagne le travail de la couleur (Hélène Valentin), se livre dans une relation étroite à l’écriture (Anne-Marie Schneider)… Variant sa charge, son intensité, ses incidences sur le support, chaque artiste élabore patiemment son propre langage pour saisir la matière et accompagner ses transformations. Il en va alors, dans l’intimité de l’atelier, d’une conquête aventureuse, d’une «odyssée» pour reprendre les mots d’Armelle de Sainte-Marie au cours de laquelle prime le plaisir pur du geste.

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