Andreas ERIKSSON
Né en Suède en 1975 – Vit en Suède
C’est à l’occasion de la 54e Biennale de Venise en 2011 que ces œuvres ont été créées pour le Pavillon Nordique confié à Andreas Eriksson. Les peintures titrées Car passes, presque des monochromes, appartiennent à la série des Shadow Paintings dont Andreas Eriksson explique qu’elles sont des peintures exécutées d’après les ombres projetées la nuit par la fenêtre, dans sa maison, lors du passage de voitures sur la route. Réalisées au pistolet à peinture, les ombres apparaissent comme dissoutes, fantomatiques, jouent d’un effet proche de celui d’une persistance rétinienne, et témoignent d’instants fugaces fixés dans le temps par les titres donnés à chacune des œuvres : la silhouette de l’artiste se projette sur le mur le 21 novembre 2010 à 19h58, l’ombre portée de l’encadrement de la fenêtre est vue le 15 décembre 2010 à 16h47, la même fenêtre encadre l’ombre des branches d’un arbre situé à proximité le 27 décembre à 19h42. Tout se joue dans le lisse de la peinture réalisée sur dibond, matériau utilisé pour le contrecollage de photographies. L’image obtenue est absolument plane, ne laisse apparaître aucun geste, se constitue comme un artefact d’image photographique. Mais l’écart entre la photographie et la peinture ne s’effectue pas tant dans une tentative virtuose à reproduire avec exactitude l’instantané photographique que dans un rapport particulier au temps. Si les phares de la voiture qui passe éclairent, comme un flash, la façade de la maison par l’ouverture de la fenêtre et projettent une image furtive sur un mur (reconstituant ainsi la mécanique d’une camera obscura), la peinture devra être méticuleusement et longuement travaillée pour rendre compte de l’événement.
Ce rapport au temps, où l’instant s’étire dans sa reproduction picturale, implique une relation particulière à l’attente et à l’ennui. Andreas Eriksson vit dans une maison isolée de la campagne suédoise à cause d’une hypersensibilité électromagnétique, une pathologie qui l’oblige à s’éloigner de toute source d’onde. Cet éloignement des grandes villes, depuis l’âge de 25 ans alors qu’il était l’assistant de l’artiste Tobias Rehberger, eu des conséquences radicales sur sa production artistique qui, en peu de temps, s’est orientée vers des préoccupations très différentes, fondées sur l’observation des espaces naturels auprès desquels il vivait désormais. « J’ai commencé à collectionner les ombres parce que je n’avais ni lumière électrique, ni télévision, et quand vous êtes allongés sur un sofa la nuit, ce que vous voyez est ce qui se passe à l’extérieur, les lumières qui se déplacent dans la pièce ; et j’ai commencé à en faire collection. » Cette collection d’images qui, telle un théâtre d’ombre, bâtit la série des Shadow Paintings, engage une relation particulière à l’espace, à l’attente, au surgissement de la lumière et de l’image dans une obscurité contrainte. Les voitures passent de manière très épisodique dans la nuit de la campagne suédoise et c’est ce surgissement qui ponctue l’attente dont Andreas Eriksson rend compte dans des peintures presque invisibles et contemplatives.
Cette relation au contemplatif est sans doute l’un des éléments essentiels de son œuvre, comme en attestent les dizaines de photographies prises dans la campagne qui constituent exclusivement le blog de l’artiste, sans le moindre texte (http://medelplana.wordpress.com). Ces images, prises lors des promenades de l’artiste, sont des prises de vues de fragments de nature – tronc d’arbres, restes d’étendues neigeuses après la fonte, trous, mottes de terre issues du passage de taupes, ciels délavés par la lumière hivernale… – dont certaines deviendront les documents de travail pour la réalisation de petites sculptures en bronze (qui reproduisent les mottes de terre ou les oiseaux morts par accident contre sa fenêtre) ou de peintures aux couleurs terreuses qui, sans être de véritables paysages au sens commun du terme, renvoient indubitablement à une prise en compte du paysage, de l’étendue, du regard posé sur les détails du sol, de l’humus, du bois brisé, des terrains accidentés, à l’image de la grande peinture Sans titre acquise par la collection du FRAC Auvergne simultanément aux trois Car passes. Cette œuvre imposante de près de trois mètres de haut, qui entretient une familiarité avec la production d’autres artistes scandinaves comme Per Kirkeby, rompt le rapport au paysage par sa verticalité affirmée et se compose davantage comme une coupe longitudinale et archéologique dans un sol informe et hétérogène, constitué de strates sèches et humides accumulées. Les œuvres d’Andreas Eriksson ont depuis plusieurs années renoué avec cette dimension contemplative, réaffirmant la possibilité d’un regard romantique, d’une peinture sensible en contrepoint des artistes qu’il admire depuis longtemps – Albert Oehlen, Michel Majerus, Martin Kippenberger – et en hommage à ceux qu’il regarde depuis plus longtemps encore – Edvard Munch ou Öyvind Fahlström.
Jean-Charles Vergne