Jean-Louis AROLDO
Né en France en 1967 - Vit en France
Jean-Louis Aroldo mène une pratique picturale au sein de laquelle s’agencent des éléments empruntés à l’histoire de l’art, au cinéma ou au documentaire. Ce mixage des genres trouve sa manifestation première dans des œuvres en polyptyques réunies sous le terme Compound, appellation générique indiquant à la fois les notions de composition, d’assemblages complexes et de greffes. Les polyptyques réalisés sont la résultante d’un assemblage précisément réfléchi dont les codes obéissent souvent aux techniques employées dans la création cinématographique et vidéo, aux principes de montage qui s’y rattachent ou à certaines techniques particulières comme le split screen cher à Brian De Palma. La finalité d’une telle entreprise est de constituer des œuvres à l’intérieur desquelles chaque peinture possède ses spécificités propres tout en étant l’organe d’un ensemble cohérent. Tout se passe donc simultanément dans les peintures et entre les peintures. Tout se passe selon un principe de circulation de flux, d’association d’idées et de contamination des images entre elles, reprenant ainsi les principes de l’effet Koulechov selon lequel une image peut prendre des significations différentes en fonction des autres images qui la jouxtent.
Compound XV, acquis par le FRAC Auvergne en 2003, est constitué de quatre peintures de formats réduits dont le voisinage entraîne le spectateur sur des temps et des espaces différents. Le premier tableau est une représentation cadrée au plus près d’une scène d’autodafé issue d’une photographie montrant des livres brûlés sur la place publique dans l’Allemagne des années 30. Si l’image renvoie à une réalité historique dont l’événement est porteur à lui seul de la barbarie nazie, elle active également le souvenir d’une des toutes premières scènes du film Farenheit 451, adaptation au cinéma par François Truffaut du livre écrit par Ray Bradbury en 1951. Elle étend également son sens à la notion de censure et, plus particulièrement, à la censure religieuse formalisée par l’Index Librorum Prohibitorum, créé en 1559 par Paul IV et aboli en 1966 par Paul VI (cette liste de livres interdits contenait, entre autres, les ouvrages de Montaigne, Descartes, Pascal, Spinoza, Zola, Laurence Stern, Sartre… mais pas Mein Kampf). La deuxième peinture est une représentation de motifs floraux issus de l’imagerie décorative mexicaine dont le flamboiement contraste violemment avec le feu glacé du premier élément. On y retrouve indirectement une allusion à l’art fresquiste qui peut renvoyer, par association d’idée, à l’exil de Trotski au Mexique en 1937, fuyant sa condamnation à mort par contumace par le régime soviétique avec l’aide de Diego Riveira et de sa compagne Frida Kahlo. Cette collision des époques et des lieux peut aussi raviver le souvenir d’un Luis Bunuel exilé au Mexique en raison de son anticléricalisme et de son marxisme déclaré. La troisième peinture représente une gueule cassée de la Première Guerre mondiale, portrait délicatement fané d’un acteur anonyme de l’Histoire dont la présence teinte les motifs floraux d’une connotation funéraire, effleurant par là même la notion de mémoire collective et d’oubli, de disparition progressive d’une histoire vivante s’étiolant à la mesure du nombre décroissant de survivants du bourbier de la Grande Guerre. Enfin, deux mains serrées l’une contre l’autre, cadrées elles aussi au plus près, font circuler à l’intérieur du polyptyque un sentiment ambigu où se mêlent la sérénité, l’attente et la tristesse. Cette dernière partie ferme l’œuvre, termine le montage, règle la vitesse interne du polyptyque, obligeant le regard à parcourir celui-ci à des rapidités différentes (le temps d’un autodafé, l’intemporalité d’un motif floral, la latence d’un visage ravagé, l’attente indéterminée des mains), dans des espaces réunis de façon anachronique. Compound XV procède ainsi par courts-circuits inattendus laissant filtrer une sensation qui flotte de manière persistante dans la mémoire, appuyée par une touche picturale maigre constituée de gris teintés.
Le polyptyque Racer Water (Painlevé), don de l’artiste pour la collection, a été réalisé à l’occasion de l’exposition La Rose pourpre du Caire organisée en 2008 par le FRAC Auvergne au Musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac. Ces douze peintures, abstraites en apparence, trouvent leur source dans L’Hippocampe, un film de 13 mn réalisé en 1933 par Jean Painlevé. Ce réalisateur d’avant-garde, à mi-chemin entre la recherche artistique et la science, a réalisé plus de 200 films dont les plus célèbres sont incontestablement ceux qu’il consacre à la faune marine. L’Hippocampe, L’Œuf d’épinoche, Mouvement du protoplasme d’Eloeda Canadensis, Cavication ultrasonique ou encore Effet de décapitation chez l’embryon de truite forment un corpus d’œuvres aussi fascinantes sur le plan esthétique que virtuoses du point de vue cinématographique. Ses prises de vues quasi microscopiques, son habileté à saisir la violence ou la poésie de microcosmes merveilleux ont influencé cinéastes et peintres, Fernand Léger affirmant même qu’il fut l’une de ses principales sources d’inspiration. Jean-Louis Aroldo s’empare de L’Hippocampe, film muet, noir et blanc, accompagné d’une musique de Darius Milhaud pour concevoir une série de peintures qui non seulement rend quasiment absente la figure même du cheval de mer, en ne sélectionnant que des détails du film, mais prend également le parti d’une «colorisation» de l’image. Le processus à l’œuvre est donc bien celui d’une modélisation, d’un transfert manifeste d’une image «prise dans la réalité» vers l’émergence de motifs abstraits. Ce faisant, Jean-Louis Aroldo adopte sans aucun doute une attitude très conforme à celle de Jean Painlevé dont le but n’est certainement pas de délivrer une vision pédagogique de la faune aquatique mais d’extraire de ces petits drames sous-marins une dimension plastique qui frôle les limites de l’abstraction. En transposant en peinture les détails d’images filmées par Jean Painlevé, Jean-Louis Aroldo pose en postulat une manière particulière que le spectateur doit adopter pour visionner les films de Painlevé, absolument comparable à celle qu’il faut adopter pour voir une certaine peinture abstraite, débarrassée de toute perspective narrative, uniquement focalisée sur une surface composée à prendre pour elle-même.
Jean-Charles Vergne