Gloria FRIEDMANN

Née en Allemagne en 1950 - Vit en France

Depuis qu’elle a surgi sur la scène contemporaine en 1980 par le biais d’une exposition collective au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Gloria Friedmann a développé avec une grande cohérence et dans la même allégresse militante une œuvre éclectique et protéiforme qui s’impose paradoxalement à la fois comme un dispositif de médiation du monde contemporain et un lieu où se déclenche, par excellence, l’imaginaire. Avec une gamme de moyens très large – peinture, sculpture, vidéo, installation, saynètes, tableaux vivants, animaux, vivants ou empaillés…- elle met en scène les rapports qu’entretiennent les hommes avec leur époque et, plus généralement, l’espèce humaine avec son écosystème et son univers naturel ; elle théâtralise en les concentrant métaphoriquement les errances et les dérives des systèmes établis. Artiste résolument contemporaine et femme de son temps, elle met à profit son expérience et sa compréhension des ramifications sémantiques et psychologiques immenses de la communication moderne pour élaborer des œuvres qui en épousent les principes – immédiateté, bipolarité, métonymie, télescopage des genres, effet de contraste ou d’incongruité, ingrédients standards spontanément reconnaissables, etc. – tout en introduisant des paramètres non mesurables à l’aune d’un simple protocole de propagande et qui placent ainsi d’emblée ses propositions visuelles hors de la sphère publicitaire, dans le champ ouvert de la spéculation imaginative. La démarche de Gloria Friedmann se rapproche en certains points de celle de l’américaine Barbara Kruger, qui règne, à juste titre, sur l’art militant depuis plus de trente ans. Les deux artistes dénoncent des états de fait, en appellent à la dimension éthique, mais se préoccupent aussi au premier chef de la nature proprement artistique de leurs propositions, c’est-à-dire d’une cohésion plastique doublée d’une « intraçabilité » cognitive propre à ouvrir le champ de l’imagination. Kruger, cependant, se place délibérément dans une relation frontale avec le spectateur avec le mode incantatoire de la harangue tandis que Friedmann invite à l’expérimentation progressive au-delà de l’impact premier. Kruger, dans des installations rouge-noir saisissantes, manie les mots et le concept jusqu’à l’incandescence tandis que Friedmann joue à plein de la métonymie visuelle qui embrase la perception à petits feux. Ce qui distingue également Friedmann de Kruger mais aussi de tout l’art activiste, c’est qu’elle ne propose pas une stratégie calibrée et reconductible, un « label » déposé, mais a contrario, choisit de coopter en quelque sorte les incarnations plausibles des cibles privilégiées, au risque de s’y perdre et, aussi grave, que le spectateur ne s’y retrouve plus. C’est une attitude courageuse qui dénote dans le même temps une capacité sereine à évaluer les enjeux, tous les enjeux, ceux de l’art comme ceux de la société. Il y a du génie à la Zelig chez Gloria Friedmann.
Cacatua moluccensis/Maluku Islands fait partie de la série très picturale des Karaoke, démarrée en 2000 et récurrente depuis. Cette série, visuellement époustouflante, est un concentré de l’art de Friedmann. Au-delà de la séduction visuelle et affective immédiate, il y a le vocabulaire de base de l’artiste : l’animal, avec son évidence physionomique et sa beauté chamarrée, mise en équation avec la beauté chromatique, « savante », d’une composition picturale abstraite. Nature et culture, innocence et sophistication. Certes. Mais il y a bien davantage dans cette composition de Friedmann : le perroquet n’est pas anodin dans son rapport à l’homme ; s’il n’est pas son « meilleur ami », il est le seul animal qui sache reproduire le verbe, ce distinguo absolu de l’espèce. Le perroquet répète les mots sans avoir conscience de leur sens, mais n’est-ce pas ce que nous faisons tous de plus en plus, du plus puissant politique au quidam moyen ? Par ailleurs, la peinture souligne la beauté du plumage du volatile et cette beauté naturelle n’est-elle pas aussi respectable que la beauté instruite ? Enfin, le « Karaoke », nous rappelle l’artiste, est la capacité à imiter au mieux l’original de la chanson. Peut-on imaginer que Gloria Friedmann nous renvoie ici, magistralement, aux rapports de l’art et de la vie et de la vie à l’art?

Ann Hindry