Loïc-Yukito NAKAMURA
Né en 1990 au Japon. Vit à Saint-Etienne
Dans ses écrits, Léonard de Vinci promulgue aux peintres et dessinateurs le conseil suivant : « Si tu regardes des murs souillés de beaucoup de taches ou faits de pierres multicolores, avec l’idée d’imaginer quelque scène, tu y trouveras l’analogie de paysages au décor de montagnes, rivières, rochers, arbres, plaines, larges vallées et collines de toute sorte. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures aux gestes vifs et d’étranges visages et costumes et une infinité de choses que tu pourras ramener à une forme nette et compléter.1 » Il est question de porter une attention particulière au réel dans ses éléments les plus informels, jusqu’à pouvoir trouver dans la souillure d’un mur un stimulant visuel capable d’impulser l’acte de création. L’un des exemples les plus fameux se trouve assurément dans les sublimes dessins réalisés par Victor Hugo dans les années 1850-1870, à partir de taches d’encre, de lavis et de gouache, laissant le hasard engendrer les motifs qu’il griffonne ensuite à la plume d’oie.
Les peintures de Loïc-Yukito Nakamura s’inscrivent dans cet héritage, tant dans la part d’aléatoire qu’elles revendiquent que dans la dimension contemplative suscitée par les nappages de vernis teintés qu’il applique selon des choix qui vont à l’encontre de ce que le genre pictural réclame généralement. Les tableaux sont peints la nuit, à l’abri de toute lumière naturelle, en multipliant les sources d’éclairage électrique contradictoires. Les peintures sont réalisées en fixant un point précis sur la toile durant toute l’exécution. Elles utilisent la plupart du temps de vieilles toiles de lin usagées dont les plis, accidents et macules deviennent autant de souillures exploitables. Le vernis est employé comme médium à part entière et se limite à une seule tonalité chromatique par tableau (un bleu violacé pour Nataraja). Les œuvres sont, selon les termes de Loïc-Yukito Nakamura, le résultat d’une « divagation de l’esprit. C’est la réalité de notre physiologie, de notre organicité, de nos yeux et de notre regard qui est questionnée. » À propos de ce que ses tableaux engagent visuellement, il se plaît à citer le syndrome de Charles Bonnet, du nom de ce naturaliste suisse du XVIIIe siècle qui identifia une pathologie se manifestant par des hallucinations optiques persistantes, des images irréelles et fantomatiques, symptomatiques d’une acuité visuelle réduite ou une perte de champ visuel. Les couches de glacis, la transparence, le ponçage, ont rendu diaphane la surface de Nataraja, dont le titre évoque une émanation du dieu Shiva effectuant sa danse cosmique. Le tableau est une cécité en soi, une vibration d’apparitions et de délitements, une membrane pour la dérive poétique, l’incarnation fine d’un lent et imperceptible mouvement de danse.
Jean-Charles Vergne
1– Léonard de Vinci (1964), La Peinture, textes réunis, traduits et annotés par André Chastel, Paris, Hermann, p. 173.