Tadashi ONO

Né en 1960 au Japon. Vit à Paris et Kyoto.

Un long mur de béton, de douze mètres de haut, a été construit le long de la côte de Iwate, Miyagi et Fukushima, à la suite de la triple catastrophe du 3 mars 2011. Pendant l’été 2017, dans un périple de 3000 kilomètres en voiture, Tadashi Ono a décidé de photographier cette construction. Avec cet ensemble de photographies, il travaille sur le motif, en déployant son langage documentaire. « Je suis capable d’enregistrer la réalité », affirme-t-il ainsi, en mesurant le potentiel de son art. Celui de montrer de la manière la plus réaliste qui soit un nouvel état du paysage japonais. Il ne recherche pas de points de vue surprenants mais choisit, au contraire, de se placer face à cette situation architecturale et de photographier ce qui se présente devant lui, de la manière la plus objective. Il s’agit de représenter un paysage en le considérant comme une matière de réflexion politique et sociale. Quelles sont les conséquences de ce gigantesque chantier de construction ? Une négation du paysage ancestral qui fonde la culture japonaise.

Le photographe ne dresse pas une typologie, mais un constat de la redéfinition radicale de l’environnement par cette gigantesque entreprise de bétonisation de la côte. Ces images sont parfaitement composées, en réminiscence de la peinture classique de paysage dans la culture occidentale, des Hollandais à Canaletto, de Piranèse à Hubert Robert, pour pallier à l’absence d’une histoire du paysage japonais. Nourries d’une mémoire de la représentation picturale de la ruine, ses photographies décrivent le présent tout en interrogeant le futur. Que deviendra ce gigantesque mur ? Dans ces images, on voit apparaître une archéologie de la digue, qui s’est élevée progressivement par une superposition de constructions à la suite des trois tsunamis de 1933, 1960 et 2011. Comme un rappel de l’impuissance de l’espèce humaine, malgré sa prétendue maîtrise scientifique, à faire face aux événements naturels toujours plus violents et imprévisibles et à leurs conséquences irrémédiables. Quelle sera l’étape suivante, dans quarante ans, lors de la prochaine catastrophe ?

Cet ensemble magistral de photographies n’est pas une lamentation. Résigné, l’artiste accepte ce nouveau paysage. La réalité est là : la civilisation japonaise se coupe de son référent éternel. Présente de manière fragmentaire dans chaque image, la mer disparaît pourtant derrière l’immense construction. C’est une coupure radicale entre la terre et la mer. Un peuple de pêcheurs qui a vécu depuis toujours dans un rapport direct à l’espace maritime va le voir disparaître au profit d’un horizon négatif, un mur de béton qui noircira au fil des ans. Les pêcheurs savent déjà les conséquences de cette construction : la fin de la continuité entre la montagne et la mer, la transformation de l’équilibre écologique où les forêts nourrissaient l’élément marin. Et c’est à cette intersection, ce point de rupture, que l’artiste dresse un éloge de la vitalité organique. La vie continuera, malgré tout. Encore.

Pascal Beausse