David REED

Né aux Etats-Unis en 1944 - Vit aux Etats-Unis

Depuis les années 80, David Reed repense la manière d’exprimer au mieux une dualité paradoxale mettant à la fois en scène dans ses peintures des éléments conceptuels et émotionnels. Il peint sur des formats panoramiques très allongés, inspirés du format du cinémascope, expérimentant un certain nombre de techniques de sablage des surfaces, utilisant divers médiums lui offrant la possibilité d’obtenir des profondeurs et des transparences infiniment subtiles. Les gestes monumentaux d’une impressionnante volupté et l’illusionnisme spatial des oeuvres de David Reed ne sont pas sans évoquer la peinture baroque italienne et sa manière particulière de représenter les plis (de vêtements notamment). Le pli baroque est effectivement l’un des sujets de prédilection de l’artiste américain, auquel s’ajoute une passion pour le cinéma et, plus particulièrement pour les vieux films de vampires et pour la filmographie d’Alfred Hitchcock. Les films de vampires comme Nosferatu (F.W. Murnau, 1922), Dracula (Tod Browning, 1931), The Brides of Dracula (Terence Fisher, 1960), Planet of the Vampires (Mario Bava, 1965)… lui inspirent une série de peintures mise en scène avec des extraits de films. Le film Vertigo d’Alfred Hitchcock (1958) donne lieu à la réalisation d’installations dans lesquelles la chambre du film est recomposée à l’identique avec une peinture de David Reed accrochée au-dessus du lit. Un moniteur est disposé à côté du lit, diffusant en boucle la scène originale du film dans laquelle David Reed a incrusté sa
peinture au-dessus du lit par un procédé numérique de manipulation de l’image. L’oeuvre intitulée The Kiss est directement issue de ce travail. Composée d’une succession de quatre photogrammes, elle montre James Stewart et Kim Novak s’embrassant dans le film Vertigo avec, en arrière-plan, une peinture de David Reed. Le rapprochement de la peinture de David Reed et du film d’Alfred Hitchcock présente un intérêt particulier dans la mesure où, dans le film et dans la peinture, la forme de la spirale se répète et résonne à une multitude de niveaux. D’abord comme motif purement formel d’une figure abstraite émergeant de la surface de l’oeuvre de Reed comme elle émerge «du gros plan de l’oeil dans la séquence du générique [de Vertigo] ; ensuite comme la boucle de cheveux de la coiffure de Madeleine ; puis comme le cercle abyssal de l’escalier dans la tour de l’église ; et finalement, dans le fameux plan à 360 degrés autour de Scottie et Madeleine s’embrassant passionnément dans la chambre d’hôtel» (Slavoj Zizek, «Alfred Hitchcock, ou comment faire un remake», in Lacrimae Rerum, Essais sur Kieslowski, Hitchcock, Tarkovski, Lynch et quelques autres, Editions Amsterdam, 2005, p.155).
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#443 se présente comme une vaste surface perturbée par deux types d’éléments : les aplats rouge brique situés dans la partie inférieure de l’oeuvre, d’une part, qui jouent le rôle de masquage et de détourage, et les deux zones rectangulaires de couleur verte, d’autre part. Ici, deux techniques sont employées qui se réfèrent au cinéma.
La zone de masquage renvoie à un procédé utilisé pour la première fois par D.W. Griffith en 1915 dans Naissance d’une Nation, film muet à gros budget de plus de 2h30 racontant l’histoire des Etats-Unis, dans lequel Griffith emploi des masques – souvent colorés de teintes monochromes – pour oblitérer une partie des images qu’il filme afin de focaliser l’attention du spectateur sur les détails importants de son cadrage. Les deux rectangles verts quant à eux se réfèrent au split screen, indiquant ainsi que plusieurs événements se déroulent en simultané ou que ce que l’on nous montre dans l’image correspond à plusieurs temporalités. En l’occurrence, il semble que chacun des rectangles ait pour fonction de figer une parcelle de geste et d’entrelacs comme s’il s’agissait d’un arrêt sur image. Le fond, constitué d’entrelacs baroques de couleur claire, les zones rectangulaires plus foncées et les aplats rouges proposent ainsi une vue fragmentée de l’oeuvre à trois stades différents de sa réalisation. Le procédé utilisé par David Reed s’inspire directement de la technique de «narration simultanée» employée dans la peinture médiévale où l’on représentait parfois sur une même peinture le même personnage vu à des âges différents (l‘enfance, la maturité, la vieillesse) pour appuyer la narration et le passage du temps.

Jean-Charles Vergne