James RIELLY

Né en 1956 au Pays de Galles - Vit en France

Made in East London
James Rielly consacre son travail artistique presque exclusivement à la figure humaine et notamment aux portraits d’enfants. Dans ces derniers la différence est frappante entre, d’une part les traces visibles d’actes de violence (hématomes sur l’œil, saignements du nez, bras cassés…) ou les déformations « naturelles » (becs de lièvre, goitres, alopécie…) et, d’autre part, la palette chromatique tenue dans des tonalités de pastels clairs renvoyant à un monde de douceur. Les couleurs appliquées en aplats sont sans aucun effet de matière (elles font ainsi penser au traitement de la couleur dans une bande dessinée) et renforcent le caractère « tendre » du tableau. Mais les figures en occupant tout le cadre ont une présence inquiétante, voire menaçante : elles paraissent vouloir en sortir. Le format des tableaux, souvent très grand, de même que le regard intense que ces figures posent sur le spectateur accentuent cette impression. On pourrait même dire que les figures représentées par James Rielly cherchent à s’approcher au plus près du spectateur et à n’exister que pour lui. En effet, il n’y a aucun repère évoquant leur contexte social (à part éventuellement leurs vêtements), ou ce qui précédait la situation représentée, ou ce qui la suivra. Le fond pictural est monochrome et complètement neutre, rarement identifiable en tant que mur grâce aux ombres portées. Les figures de Rielly posent devant ce mur comme des modèles. Elles semblent sans émotion et malgré tout intéressées par la réaction du spectateur.
Les trois enfants représentés en contre plongée dans Made in East London perturbent le spectateur par l’incertitude où nous sommes dans un premier temps quant à leur état : les yeux fermés et la bouche légèrement ouverte sont-ils les signes du sommeil ou ceux de la mort ? Leurs corps très pâles qui se distinguent à peine du fond très clair semblent flotter dans les airs, ou dans l’eau. La similitude des trois visages entre eux est frappante, comme s’il s’agissait d’une même figure représentée trois fois. Cela peut laisser penser que Rielly aurait élargi la lecture du tableau Made in East London par une possibilité d’interprétation allégorique. Jean-Charles Vergne a déjà évoqué l’influence sur l’artiste de l’iconographie chrétienne, sensible dans plusieurs autres tableaux1. De cette façon, la figure d’enfant multipliée par trois dans Made in East London peut rappeler la figure du Christ mort telle qu’on la retrouve dans nombre d’œuvres anciennes.

Julia Garimorth

1 Jean-Charles Vergne, Conspicuous (ce qui attire l’œil) in catalogue James Rielly, FRAC Auvergne, 2002, pp. 23 et 24.

Conspicuous
Les portraits réalisés par James Rielly sont généralement fictifs, composés à partir de documents photographiques. S’il réalise des peintures pouvant représenter des corps ou des groupes de personnes, sa pratique s’attache essentiellement au thème du portrait. Jusque là, rien ne saurait dégager l’art de James Rielly de tout un pan classique – et risqué aujourd’hui – de l’histoire de l’art. Néanmoins, les œuvres de James Rielly proposent un certain nombre de récurrences, tant dans la manière de peindre que dans la façon d’aborder ses sujets. Les peintures frappent tout d’abord par leur teintes. Systématiquement pastel, voire délavées, qui tendent à faire osciller l’image entre apparition émergeante et évanescence progressive. Elles exigent parfois un temps d’accoutumance visuelle pour que se révèlent les contours puis les détails, à l’instar de certaines peintures de Luc Tuymans. Les images sont plates, sans hiérarchisation particulière, comme de vieilles photographies d’archives familiales aux couleurs passées. Le temps d’accoutumance visuelle nécessaire à la perception des formes peintes par James Rielly est également essentiel pour percevoir les glissements de sens systématiques opérés à l’intérieur des portraits. En effet, James Rielly, sous couvert d’investir un genre historiquement miné, insuffle à ses portraits de pernicieuses dérives exhalant simultanément de violents, mais subtiles, déformations physiologiques et de sourdes connotations sociales à de monstrueuses progénitures issues d’assemblages consanguins, victimes de l’hérédité congénitale, ou de violences familiales.
Conspicuous est une peinture qui semble cependant échapper à tout cela puisqu’elle ne montre qu’un visage d’enfant dont un œil est fermé et l’autre grand ouvert. Rien de particulièrement dangereux en apparence. En apparence seulement car, pour Conspicious, le temps d’accoutumance visuelle est plus long et il faut de la patience pour déceler dans cette peinture des indices conduisant la perception vers la difformité : œil démesuré placé en plein centre du tableau, réactualisant la figure mythique du cyclope ; crâne étrangement disproportionné, s’étirant anormalement vers le haut comme si l’enfant était hypercéphale.
Dès lors, l’œil du spectateur tend à vouloir chercher d’autres déformations, à établir d’autres hypothèses, exagérées, sur les autres parties du visage : l’œil fermé n’est-il pas en réalité collé, la bouche n’est-elle pas elle aussi déformée jusqu’au titre qui signifie « qui attire le regard ». Comme l’écrit Arielle Pélenc, « c’est de la peinture à l’huile, mais l’image a une couleur technologique ; c’est de la fiction mais la narration est laissée en suspens ; c’est une accumulation de cas particuliers, mais l’ensemble est générique. C’est le caractère mutant de ces peintures qui nous inquiète, alors même qu’elles sont réalisées avec les moyens les plus traditionnels. »

Jean-Charles Vergne