Claude RUTAULT
Né en 1941 en France - Décédé en 2022
« définition/méthode n°131. entourant le tableau.1981
un mur sur lequel est accroché un tableau. entourant le tableau, un certain nombre de toiles sont accrochées et peintes de la même couleur que le mur. ces toiles sont de dimensions variées, une ou deux étant identiques au tableau, les autres, plus petites ou plus grandes, sont dans des dimensions proches. ni le nombre, ni l’accrochage ne sont déterminés à l’avance. ils ne sont bien sûr pas fixes d’une réalisation à l’autre. si plusieurs tableaux sont accrochés au mur, il est possible de réaliser l’œuvre avec plusieurs tableaux à la condition que cette idée d’entourer le tableau avec des toiles peintes de la même couleur que le mur soit évidente.
le nombre de réalisations de la proposition est illimité. »
Parmi toutes les définitions/méthodes de Claude Rutault acquises à ce jour, une seule dispose d’une peinture originale réalisée par l’artiste en 1970 (soit trois ans avant qu’il ne peigne une toile de la même couleur que le mur de sa cuisine et qu’il ne cesse alors d’avoir une pratique “académique”). La définition/méthode n° 131, “entourant le tableau”, permet de présenter un certain nombre de toiles monochromes accrochées autour d’une peinture originale (peinture centrale) représentant un igloo (mais il peut s’agir d’une autre œuvre choisie par l’acquéreur de la d/m n°131), avec d’autres toiles monochromes éventuellement posées en pile à même le sol. Comme l’écrit l’artiste dans une note “l’important c’est L’ÉVIDENCE VISUELLE de la proposition”. Ainsi, il est possible de voir dans le tableau central la clef de voûte du dispositif de l’igloo, voire aussi la première peinture à l’origine de son histoire, ou la dernière d’une histoire. Toujours est-il que cette définition/méthode offre, une fois encore, un champ des possibles formidables quant à son interprétation. En cela, comme toute d/m de Claude Rutault, l’œuvre est une invitation à innover et à construire avec lui l’igloo de cette histoire. C’est l’innovation de l’artiste qui pose par un contrat les conditions d’une participation à une nouvelle construction de la peinture, et c’est l’innovation de l’acquéreur qui devient créateur. Claude Rutault propose par exemple ici que la toile prenne un format plus grand à mesure qu’elle s’éloigne de la peinture centrale, libre à chacun d’imaginer une autre actualisation, et de la lui proposer…
Frédéric Bouglé
Frédéric Bouglé : La notion de prise en charge est un paramètre important de ton œuvre qui permet à l’acquéreur d’avoir une relation privilégiée par rapport à l’objet. Elle permet en outre à l’acquéreur d’établir une véritable relation avec l’artiste qui lui-même bénéficie en retour d’un réseau relationnel avec ses acheteurs que j’imagine authentique. Ainsi se construit dans ce jeu de relations entre l’acquéreur, l’artiste et l’œuvre une texture dont la trame des liens est resserrée par une certaine charge affective. Tu es sans doute le seul artiste qui connaisse aussi bien ses collectionneurs. N’y a-t-il pas ici même une dimension implicite qui explique l’existence de ton travail ?
Claude Rutault : Encore à partir des constats les plus simples. Puisque celui qui acquiert le travail va vivre avec, puisque l’œuvre est à réaliser, puisque l’utilisation d’une couleur plutôt qu’une autre ne change rien, pourquoi imposer mon goût, pourquoi ne pas laisser le collectionneur choisir ? Si on laisse le collectionneur choisir la couleur, pourquoi ne pas lui déléguer l’ensemble de la réalisation ? L’œuvre va se faire sous sa responsabilité, choix du lieu, support et tout ce qui fait l’œuvre. Déjà cela va bien au-delà de la simple exécution. C’est la responsabilité, c’est la prise en charge. Lui-même peut déléguer, mais sous sa responsabilité. celui qui acquiert est également responsable du maintien de la pièce en état conforme au texte de la d/m. L’artiste conserve en permanence un droit de contrôle, un droit de regard. Cet aspect de la méthode peut entraîner une connaissance réciproque, ce que tu appelles une charge affective entre l’artiste et le preneur en charge, mais ceci peut également produire un retrait, une mise à distance de l’artiste par rapport à son œuvre… l’existence de la d/m le permet. C’est l’une de ses fonctions. C’est tellement vrai que si je fais le compte des travaux installés sous différentes formes, j’en connais moins de la moitié. Je me réserve toujours la possibilité d’aller voir, mais rien de systématique. L’idée de ne pas connaître, autrement que par les éléments figurant sur le descriptif, est quelque chose qui me plaît. Non que le résultat ne m’intéresse pas, au contraire, mais la distance ente l’artiste et son œuvre me paraît un critère important pour n’importe quelle proposition picturale. Mais contrairement et en même temps à un artiste classique qui laisse son tableau partir sans même savoir où il va, je reste toujours en contact avec toutes mes œuvres grâce au descriptif et à ses actualisations. Ce qui compte est ce qui est produit, ce qui est visible et reste visible en dehors de la présence de l’artiste. Qui est d’autant plus important dans mon cas, au regard de la manière dont les œuvres sont réalisées, c’est-à-dire le plus souvent mais pas toujours car ce n’est pas une obligation, par d’autres. L’idée de prise en charge va plus loin. Il est tout à fait possible pour un collectionneur de me proposer une d/m. pourquoi quelqu’un, connaissant bien l’œuvre et son fonctionnement, ne pourrait-il avoir envie d’un travail particulier, par rapport à ses goûts, par rapport à sa collection, sa profession…? Cela s’est déjà produit…
Extrait du livre d’entretiens entre Frédéric Bouglé et Claude Rutault
“La fin de l’objet fini”, Question “i”, Éditions Joca Seria , Nantes, 1992.