Ida & Wilfried TURSIC & MILLE

Nés en France en 1974 - Vivent en France

Ida Tursic et Wilfried Mille constituent un exemple rare de peintres travaillant systématiquement en duo. Toutes leurs oeuvres, en effet, s’accomplissent à quatre mains, les deux artistes se répartissant les tâches sans que jamais l’on puisse déceler qui est à l’origine de quoi dans les peintures produites. Il s’agit donc d’un cas très particulier où la peinture ne s’effectue plus en solitaire dans l’atelier mais où elle s’élabore véritablement comme une production au sein de laquelle chaque décision, chaque intervention fait l’objet d’une décision commune. Certes, d’autres exemples existent, dans lesquels la logique de réalisation artistique, prise dans le même sens que «réalisation d’un film» (c’est-à-dire avec une équipe dont chaque membre tient un rôle particulier sur le plan technique), peut être poussée plus loin encore. Il suffit de songer aux peintres qui choisissent de déléguer totalement la réalisation de leurs oeuvres à des peintres en lettre (comme le fit Martin Kippenberger), à des artisans (comme le fait régulièrement Pascal Pinaud), voire à des logiciels (comme le fait le peintre allemand Albert Oehlen). Parfois, même, la création de peinture relève de la superproduction où d’importantes équipes oeuvrent sous la direction de l’artiste : c’est ce que fait la superstar du marché de l’art Jeff Koons en confiant systématiquement toutes ses peintures à une cohorte d’assistants, comme le ferait une équipe de cinéma vis-à-vis du réalisateur d’un film. Ida Tursic et Wilfried Mille travaillent de manière plus artisanale (ils se situeraient du côté du film d’auteur pourrait-on dire, pour poursuivre l’analogie avec le cinéma) avec une pratique qui n’obéit à aucune règle prédéfinie puisqu’ils s’évertuent à investir tous les sujets possibles, en passant indifféremment de la peinture figurative à la peinture abstraite. Leurs sujets les plus marquants sont sans doutes les grandes aquarelles et peintures à l’huile représentant des scènes pornographiques où le couple d’artiste n’hésite pas à aller très loin dans la crudité et dans l’extrême vulgarité des représentations. Avec ces sujets, ils parviennent à donner à voir des peintures qui, malgré leur obscénité, se hissent au rang d’oeuvres presque maniéristes, à l’esthétique bluffante. D’autres oeuvres s’intéressent à la reproduction d’images extraites de films avec, notamment, une série de peintures consacrées à la scène finale de l’incendie de la maison dans le film réalisé par Andreï Tarkovski en 1985, Le Sacrifice. Enfin, un autre aspect de leur travail consiste à peindre des tableaux qui renouent avec une certaine dimension de l’Op’Art (Art Optique) des années 70, oeuvres abstraites donc, mais dont la principale vertu soit de créer des surfaces en vibration, en mouvement. Les douze cercles rotatifs, acquise par le FRAC Auvergne en 2008, appartient à ce type de création. Les cercles tournent, sous l’effet d’une illusion d’optique, tenter de les fixer revient à se laisser happer par le mouvement cranté allant dans un sens puis dans l’autre, selon l’endroit où le regard se pose. En même temps, et c’est l’une des caractéristiques du travail d’Ida Tursic et Wilfried Mille, l’oeuvre ne cherche pas à dissimuler les artifices qui rendent possible cette illusion : toutes les lignes de constructions demeurent visibles, de même que les petits motifs qui constituent les cercles montrent leurs imperfections, leur aspect «fait à la main». Il s’agit bien ici de créer un mouvement illusoire, comme le fait le cinéma depuis sa création et, en définitive, qu’il s’agisse de ce type d’oeuvre, des peintures pornographiques ou des références à Andreï Tarkovski, une part importante de la pratique des deux artistes consiste bien à mesurer le champ des possibles offerts à la peinture contemporaine par le cinéma.

Jean-Charles Vergne