Dès son commencement, l’œuvre d’Agnès Geoffray s’est fondée sur une réflexion portant sur le statut de l’image, sur la manière dont les images nous parviennent, sur leur potentiel fictionnel, sur leur puissance de vérité et de falsification.
Agnès Geoffray est photographe mais une partie de l’iconographie qu’elle utilise s’effectue sans la photographie, par la récupération d’images d’archives dont elle n’est pas l’auteur, qui alimentent un travail d’ajustement, de montage, de retouche. Il y a donc des images qui, parfois, proviennent de ses propres prises de vues ; il y a des images qu’elle trouve et qu’elle utilise telles quelles ou en leur apportant de subtiles modifications. Il y a, aussi, des images manquantes, des œuvres sans images élaborées à partir de textes qui se substituent aux images : il ne s’agit pas là d’une rupture dans sa création mais d’une autre façon de faire des images, sans images.
Les œuvres se livrent dans leur présence étrange, dans leur beauté inquiétante voilée par l’évocation de faits historiques parfois tragiques. Elles se manifestent dans le chuchotement, la mise en retrait, les allusions discrètes pour dénouer subtilement ce qui se dissimule et se joue dans les images : leur violence cachée, leur puissance de manipulation, leur possible corruption.
A la suite de l’acquisition de la série photographique Incidental Gestures en 2014 puis du film Sutures en 2016 pour sa collection, le FRAC Auvergne a souhaité confier à Agnès Geoffray l’ensemble de ses espaces ainsi que ses vitrines afin que se déploie cette pensée d’une grande acuité, portée par une poésie singulière accordant aux images une dimension affective exacerbée.
Jean-Charles Vergne
Directeur du FRAC Auvergne
Commissaire de l’exposition
Contre-histoires
L’exposition Contre-histoires investit l’Hôtel Fontfreyde – Centre Photographique de Clermont-Ferrand du 17 octobre 2019 au 18 janvier 2020. Le commissariat de cette exposition collective été réalisé par Pascal Beausse associé à Jean-Charles Vergne et François-Nicolas L’Hardy. Cette exposition est l’occasion d’une réflexion sur les représentations des événements majeurs de l’histoire contemporaine récente. Comment l’histoire est-elle vue et enregistrée par les artistes? Réflexion sur la représentation du monde par les images, de leur véracité ou de l’histoire indicible ou indivisible et pourtant, effectivement là. En articulant les mécanismes et les codes de la communication, les artistes invitent à une distanciation critique face aux flux des images, ou bien, délibérément nous percutent par des histoires auxquelles nous voudrions échapper.
Avec les œuvres des artistes suivants :
- collectif Abounaddara
- Taysir Batniji
- Ali Cherri
- Alexis Cordesse
- Jim Goldberg
- Manuela Marques,
- Edith Roux
- Larissa Sansour
- Michaël Schmidt.
Hôtel Fontfreyde
34, rue des Gras
63000 Clermont-Ferrand
Ouvert du mardi au samedi de 14 h à 19 h
Fermé le dimanche, lundi et 1er mai
LE MAUVAIS ŒIL
L’idée de cette exposition est née il y a presque un an et sa conception a débuté il y a plusieurs mois, bien avant que ne se déclare la pandémie de COVID-19.
Certains thèmes et certaines œuvres de ce projet entretiennent une résonance avec les mois éprouvants que nous traversons. La question s’est posée de maintenir ou non cette exposition mais nous avons choisi de conserver ce projet tel qu’il avait été conçu à l’origine, considérant aussi que les œuvres qu’il réunit constituent pour certaines les témoignages et les signes d’une prise de conscience générale et vitale qu’il nous faut développer dans les années futures.
Avec son film The Evil Eye (« le mauvais œil »), Clément Cogitore s’est vu décerner en 2018 le prestigieux Prix Marcel Duchamp par le Centre Pompidou, obtenu avec le concours du FRAC Auvergne qui fut chargé de défendre sa candidature. The Evil Eye est ici placé au cœur de l’exposition, sa bande-son traversant tous les espaces, dans un dialogue avec les autres œuvres, telle une litanie présageant l’avènement d’une inéluctable fin du monde portée par la rémanence de grands récits mythologiques, transfigurée par des dizaines d’images à vocation publicitaire. Élégie poignante empruntant autant aux grands mythes qu’aux méthodes de manipulation des foules les plus éprouvées par la publicité comme par la propagande, The Evil Eye en appelle aux figures anciennes de la sorcière, de la prédicatrice et de l’oracle pour éclairer notre époque d’une lumière prémonitoire et funeste.
Le mauvais œil, figure archaïque de l’anathème, trouve dans cette exposition ses déclinaisons les plus diverses. Puisant dans les représentations enracinées dans la croyance et le mythe, le mauvais œil se manifeste aussi par l’évocation de grandes tragédies historiques – dévastation guerrière, terrorisme, désastre économique – et par l’omniprésence de figures féminines énigmatiques, prophétiques ou menaçantes qui, telles les Parques de la mythologie romaine, semblent tisser les fils d’une destinée fatale. Le mauvais œil en appelle autant aux superstitions enracinées dans l’imaginaire collectif qu’aux phénomènes de croyances les plus actuels véhiculés par les pronostics – réalistes ou fantasmés – d’effondrement inéluctable de notre civilisation.