Roland FLEXNER
Né en France en 1944 - Vit aux Etats-Unis
Roland Flexner a voué son œuvre à l’encre et au souffle, prolongeant les paysages de Victor Hugo ou de Max Ernst nés du hasard de compositions soumises à l’air et à la liquidité pour trouver le sublime dans les formes indécises de la matière. Un souffle a engendré ce monde d’eau, d’encre et de savon, sphère tremblée, parcourue par l’errance aléatoire de spires et de sinuosités noires, filaments étirés d’arabesques semblables à l’émulsion abstraite d’une goutte de nuit dans la blancheur du lait. Une expiration doucement pulsée par le tube d’un pinceau chinois troué en son centre engendra cet univers. Une bulle est déposée sur un papier couvert d’une pellicule d’argile, jusqu’à son explosion, silencieuse comme le sont les anecdotes cosmiques qui font germer les astres dans la multitude sombre. Le monde est rond, le monde est plat, comme sur les cartographies des siècles anciens. Sur terre comme dans le ciel, pour rejoindre un bord depuis l’autre bord d’une carte, il faut franchir la marge et sortir de la carte. Une cartographie est abstraite et cette abstraction n’est qu’une commodité pour exprimer le monde de manière simplifiée. Il faut admettre que l’abstraction n’existe pas et qu’il s’agit du monde, d’une façon ou d’une autre. Cette bulle est plate et nous la regardons comme un monde, sphère en lévitation dans un univers blanc, inondée d’océans et de nuages d’orage. Cet univers de poche est celui de nos billes d’enfance, entrechoquées dans les cours d’école, lentilles de verre à l’intérieur desquelles flottaient les arabesques de verre teinté de flammes opaques. Loupe, œil de chat, Galaxie : les noms qu’on leur donnait. J’aime imaginer que Roland Flexner ait gardé à l’esprit les billes de son enfance lorsqu’il regarde ses bulles sur le papier avant de décider de les éclater en petits mondes aplatis, lorsqu’il contemple, comme les enfants, les continents et les mers qui naissent sous le poids de l’air.
Jean-Charles Vergne