Philippe COGNEE

Né en France en 1957– Vit en France

Figure majeure de la peinture, Philippe Cognée a choisi dans les années 1990 d’orienter ses préoccupations vers la représentation d’objets triviaux. Baignoires, chaises de jardins, congélateurs, cabanes de chantier, supermarchés, immeubles, châteaux de sable, scènes de famille… sont alors pour lui l’occasion de prolonger les thèmes de la nature morte et de la scène de genre tout en posant la question du sujet en peinture : un peintre peut-il tout peindre, y compris les choses les plus banales ?
La technique qu’il utilise consiste à reproduire une photographie en utilisant une encaustique de pigments mêlés à de la cire d’abeille. Les couleurs se préparent donc au bain-marie, l’image est peinte à chaud. Puis l’encaustique est chauffée une seconde fois à l’aide d’un fer à repasser appliqué sur l’œuvre préalablement recouverte d’un film plastique. La cire fond à nouveau, les formes se dissolvent de manière contrôlée, l’image se floute. Après que le film plastique ait été arraché, créant ainsi de multiples aspérités à la surface de l’œuvre, l’image se révèle enfin, laissant apparaître le sujet initial dans une morphologie nouvelle et trouble, dans une dimension vibratile qui la fait résister. Le sujet – si banal au départ – bascule vers une autre représentation dont une dimension tragique n’est pas exclue.
Dans les années 2000, néanmoins, Philippe Cognée s’est progressivement éloigné de ses sujets de prédilection pour orienter ses recherches vers le traitement de nouveaux types d’images. Beaubourg appartient ainsi à une série tout à fait singulière dans l’œuvre du peintre, consacrée aux grandes architectures patrimoniales internationales dédiées à l’art. Saint-Pierre de Rome, le musée Guggenheim de Bilbao, Versailles, Beaubourg… peints sur des formats imposants, sont les lieux d’exposition et de conservation des œuvres les plus remarquables de l’histoire de l’art. Voici donc le regard porté par un artiste sur ces constructions dédiées à la création, dont certaines d’ailleurs contiennent ses propres œuvres, à l’image du Centre Pompidou ou du Château de Versailles qui conserve une quarantaine de ses peintures. Beaubourg rappelle par sa nature, par ses fonctions et par son implantation dans la ville, le souvenir des cathédrales, et souligne le déplacement historique de l’art du domaine cultuel vers celui du culturel, à l’image de la Chapelle de la Visitation, dévolue au culte puis à la culture…

La série Google est consacrée à la représentation de vues aériennes satellitaires fournies par le site Google Earth. Cette cartographie vue du ciel propose des images dont les détails sont parfois d’une redoutable précision. Il est certain que cette technologie popularisée par Google a considérablement modifié notre manière d’appréhender l’espace et les distances du monde dans lequel nous vivons en créant pratiquement une façon de voyager sans bouger, à des altitudes et avec une fluidité jamais atteintes jusqu’alors. La vue satellitaire de Google mise à la portée de tous est à la fois symptomatique d’une surveillance permanente de la moindre parcelle de territoire à l’aide de caméras high-tech et l’expression d’une menace tout aussi permanente venue du ciel. Ces architectures habituellement perçues dans leur monumentalité semblent comme écrasées par la dissolution de l’image obtenue grâce à la technique à l’encaustique employée par l’artiste. On retrouve dans cette œuvre l’intérêt porté par Philippe Cognée pour les grandes architectures contemporaines que sa technique transforme en formes chargées d’une précarité presque pathétique. Du véritable paquebot muséal incarné par le Centre Pompidou à l’éphémère d’un château de sable, il n’y a finalement qu’une différence de temps car, à la fin, tout s’effondre inéluctablement… C’est donc de vanité humaine dont il est question, de cette volonté de bâtir, de créer pour laisser une trace qui puisse être la plus longue possible. Il s’agit là, incontestablement, d’une question qui concerne tout artiste dont les œuvres sont destinées à lui survivre ; les aquarelles de crânes et les peintures Cœur et Cervelle ne disent rien d’autre que cela, renouant avec une longue tradition pour souligner la vanité de toute création. Ne demeure à la fin que la belle simplicité de cette peinture de plage, représentant les deux enfants du peintre, encore très jeunes en 1996, aujourd’hui adultes. Un cliché familial, intime, personnel et simultanément universel, symptomatique de notre passage, fugace et fragile.

Jean-Charles Vergne