Noémie GOUDAL
Née en France en 1984 - Vit à Paris
Lorsqu’en 1834 Victor Hugo épouse le regard astrophysique de son ami Arago en scrutant la surface de la Lune à l’Observatoire de Paris, il n’y voit d’abord rien mais, très vite, le pouvoir évocateur de l’astre ouvre un champ d’émerveillement qui déclenche la nécessité d’écriture. La science est un promontoire pour le songe et son pouvoir de fascination artistique est infini, sans cesse renouvelé par les grandes découvertes. Léonard de Vinci ou Bernard Palissy ne faisaient guère la distinction entre leurs activités savantes et créatrices et si la séparation de la science et de l’art fut en partie déterminée par l’accélération industrielle débutée dès le XVe siècle, les artistes et les scientifiques suivent toujours des voies parallèles qui, parfois, se superposent.
Le 1er avril 2020, une équipe internationale de chercheurs publiait dans la revue Nature les résultats de leur découverte en Antarctique de restes de racines, de pollens, de spores et de plantes à fleurs, récupérés dans des sédiments extraits à trente mètres de profondeur sous le plancher marin, à moins de neuf cents kilomètres du pôle. Ces échantillons montrent l’existence, il y a environ quatre-vingt-dix millions d’années, d’une vaste forêt pluviale tempérée. Les terres inhospitalières du pôle Sud, dont la température atteint -80° Celsius en hiver, ont été partiellement couvertes de forêts humides pendant la période du Crétacé : « les nombreux restes de plantes indiquent que la côte de l’Antarctique occidental était, à cette période, une forêt tempérée dense et marécageuse », comme l’indique le paléoécologue Ulrich Salzmann, co-auteur de l’étude. Ces forêts furent régulièrement ravagées par le feu en raison de l’intense activité volcanique propre au Crétacé. Avec une minuscule paillette de charbon trouvée dans une carotte sédimentaire, c’est l’immensité d’un climat disparu depuis des millions d’années qui se dévoile, avec un fossile microscopique c’est l’existence de forêts tropicales en lieu et place de nos calottes glaciaires actuelles.
Ces découvertes constituent le point d’origine du film de Noémie Goudal, elles sont le promontoire depuis lequel la pensée créatrice a su prolonger la vision au-delà du seul horizon scientifique. Ces prémisses – la forêt pluviale dans l’Antarctique, les gigantesques incendies – et les enseignements d’ordre climatique qui en découlent, n’ajoutent ni n’enlèvent rien à la magie d’un cinéma primitif auquel elle nous convie, ravivant le souvenir des émerveillements astucieux de Georges Méliès et de ses techniques révolutionnaires de surimpressions sur fond noir (dans The Four Troublesome Heads en 1898 notamment). C’est un film à suspense lent fondé sur le dévoilement de ses artifices et sur une constante interrogation lancée à l’adresse de son spectateur. Que vois-je ? Combien d’incendies successifs dévasteront ces jungles sans jamais perturber le chant des oiseaux exotiques ? Comment croire à l’impossible régénération des intenses frondaisons luxuriantes ? Peu à peu se décèlent les fils qui suspendent parallèlement les neuf strates de papier photographique. Peu à peu se révèle la matérialité des lés en consumation s’effondrant sur le sol, se dévoile finalement l’impasse, le vide, l’absence, lorsqu’en définitive il ne reste plus qu’un fond de hangar à regarder. C’est, assumons le pléonasme, un dispositif artificiel, un dispositif ne cherchant pas à dissimuler ses mécanismes mais ouvrant au contraire sa facticité au regard. Le plaisir se trouve là, dans le dévoilement des trucages simples (au demeurant particulièrement complexes en termes d’optique et de perspectives) où quelques dizaines de photographies suspendues puis enflammées m’ont fait croire, pour quelques instants, à la combustion spontanée d’une forêt vierge en perpétuelle régénérescence. La fascination se trouve ici et cette fascination, ne l’oublions pas, fut en tout premier lieu celle de l’artiste et de son équipe, assistant à la destruction jouissive de ce décor méticuleusement préparé, scrutant intensément le cadre de la caméra en espérant y voir la magie presque enfantine des commencements du cinéma.
Jean-Charles Vergne