Stephen MAAS

Né en Grande-Bretagne en 1956 – Vit en France

Stephen Maas est sculpteur mais il accompagne fréquemment ses sculptures d’aquarelles exécutées sur papier ou sur tôle d’aluminium. Stephen Maas est sculpteur mais, contre toute attente, ses œuvres échappent aux caractéristiques habituelles du genre : elles ne sont pas massives (ou rarement) ; elles se manifestent la plupart du temps par une extrême fragilité doublée d’une instabilité certaine ; elles utilisent des matériaux peu nobles et peu propices à la constitution d’un corpus d’œuvres pérenne.
Les peintures de Stephen Maas représentent des oiseaux observés par l’artiste à la jumelle, dans la garrigue, lors d’un périple à bicyclette de plusieurs semaines réalisé en 1996 : rouges-gorges, moineaux, hirondelles, etc. Les oiseaux représentés, seuls ou en groupe, sont souvent peints pris au piège dans un collet, attachés, emprisonnés dans des structures ressemblant à des cages. La fragilité, la légèreté, l’insaisissabilité des oiseaux correspondent aux caractéristiques de l’aquarelle ou plutôt c’est cette technique qui est adaptée à la capture d’une sensibilité volatile.
Les sculptures sont boiteuses, dans leur physiologie comme dans le sens qu’elles véhiculent, et semblent peu convaincantes a priori. Cet art du peu, du bancal, de la lutte contre l’effondrement au sol, procède de la volonté de ne préserver dans les œuvres que les éléments les plus signifiants au service d’une vision poétique exacerbée par un sentiment d’inachevé omniprésent. Les références à la littérature parcourent l’œuvre de Stephen Maas qui, notamment, voue une grande admiration à Samuel Beckett avec lequel il partage cette particularité de naviguer en permanence entre une langue maternelle, l’anglais, et une langue d’adoption, le français. Comme l’écrivain irlandais, Stephen Maas utilise constamment les possibilités ludiques offertes par le langage et ses écarts et les titres de ses œuvres procèdent très souvent de jeux de mots à tiroir qui lui permettent d’instaurer un climat mêlant poésie, humour, absurde et tragique. Par ailleurs, l’essentiel de sa production renvoie au domaine de l’ornithologie, véritable passion héritée de son père. Les oiseaux constituent depuis des années un fil conducteur privilégié à son travail, à tel point que l’artiste a passé deux années à les observer à la jumelle dans la garrigue, voyageant à vélo d’un point d’observation à un autre, fasciné par la liberté des oiseaux, leur fragilité et par la beauté de leurs trajectoires, pour réaliser ensuite une série d’aquarelles sur papier ou sur tôle dans lesquelles les oiseaux sont représentés, seuls ou en groupe, pris au piège dans un collet ou emprisonnés dans des structures ressemblant à des cages.

La peinture sur tôle d’aluminium intitulée Singaringasong montre ainsi la conjonction de trois événements ou types de motifs : une ligne verticale prolongée par la rencontre de deux oiseaux, trois silhouettes de cloches et une main fermée. Le titre lui-même sert ici de liant aux trois pôles de l’aquarelle. En anglais, « to ring » signifie baguer (un oiseau) et sonner, « sing a song » signifie « chanter une chanson » (celle de l’oiseau), « ring a song » est traduisible par « faire sonner une chanson » ou « faire retentir une chanson ». Une légère transformation de « ring » donne « wring » (en ajoutant un W, première lettre renversée du nom de l’artiste, comme sont renversées les cloches) qui signifie « tordre » (« to ring a bird’s neck » : tordre le cou d’un oiseau). La main est celle de Stephen Maas enserrant un oiseau, les cloches sonnent le glas, la ligne verticale est celle d’une chute vertigineuse vers le sol. Enfin, la qualité réfléchissante de l’aluminium renvoie tout autant le symbole de l’éblouissement du soleil dans les jumelles utilisées pour l’observation dans la garrigue qu’à la qualité particulière du matériau grâce auquel les motifs aquarellés semblent littéralement flotter, glisser, voler à la surface de l’œuvre.
Si le sujet est directement représenté dans cette peinture, il n’est montré dans la sculpture que par son absence. En d’autres termes, il n’y a pas d’oiseau dans cette sculpture sensée renvoyer l’image d’un piège de fortune construit à la va-vite avec les moyens du bord : un filet à pommes de terre, quelques rivets et un cadre de vélo, vestige de la déambulation cycliste de l’artiste dans le sud de la France. La sculpture offre donc une vision poétique de l’idée de piège omniprésente dans l’œuvre de Stephen Maas. De plus, le filet à pommes de terre est une évocation directe des origines de l’artiste qui, né en Grande-Bretagne, a ses racines en Hollande. En effet, « maas » est un mot hollandais signifiant « entre les mailles du filet »… Il faut donc ici se laisser porter par la dimension poétique et la délicatesse de ces œuvres qui ne cherchent pas à produire du beau de manière immédiate mais dévoilent une sensibilité exacerbée, tout autant ancrée dans la pauvreté des matériaux que dans les jeux de langage qui sous-tendent en permanence les créations de Stephen Maas.

Jean-Charles Vergne