Jean-Christophe DE CLERCQ
Né en France en 1966 - Vit en France
Créer, c’est tracer un sentier, trace de pas après trace de pas, coup de crayon après coup de pinceau. Marcher c’est cogiter en traversant, alors que créer c’est cogiter en s’agitant, tel est le balancier qui anime la rhétorique gestuelle de l’artiste qui mesure la cadence et l’ampleur du pas. Si le dernier pas s’efface dans la terre sèche, le suivant s’imprimera dans la terre humide et, si celle-ci est sèche, elle restera marquée d’un pas humide. Peindre, dessiner, c’est faire empreinte, laisser trace sur un support adapté, et qualifier les exigences de la pensée dans la formulation de la tournure du tracé. Avec Jean-Christophe De Clercq, c’est bien la gestuelle qui prime, lui qui s’exprime avec les mains. Les dessins, les lavis, les graphismes et les couleurs mêmes participent au couronnement de cette gestuelle manuelle, nécessitant pour son sacre une discipline des mouvements à cinq doigts et une endurance, une dextérité, une respiration, fruits d’un sens aigu de l’observation. Lorgnant les mystères des formes de la nature et les survivantes subsistances humaines du sacré, guignant les petits miracles de textures organiques et minérales, convoitant les récréations naturelles du gaz, de la roche et du sable, l’artiste en déduit la création de motifs méconnaissables et abstraits et une discipline stricte de travail. Son geste a acquis, c’est certain, un rythme, une périodicité et une motivation personnelle, innovant des formulations qui prennent parfois l’aspect de grands dessins à effet visuel absorbant. Parfois, ce seront comme d’étranges échantillons, des déclinaisons de petites trames sérielles, voire des collections d’extraits de façonnages maillés ou fibreux. Il en résulte un ensemble de propositions étonnantes, interlopes, précises, ensorcelantes, et qui mènent l’artiste sur un étrange sentier, là où semble-t-il personne n’a eu la curiosité de s’engager.
Ces dessins, ces phénomènes figurés, traversent un destin de grumeaux serrés, de bulles éclatées, de plumes crayonnées, de membranes échevelées et de frises asymétriques cerclées. Des trames en noir et blanc, pigmentées et tachetées de points, mouchetées et piquetées de petits filets noirs, domestiquées ou affolées, et parfois colorées d’une ombre portée, s’étirent, s’étalent, et se retirent sur un grain fin, le plus souvent papier. Jean-Christophe De Clercq travaille sans souci de format, ciels de papier infinis, grands ou petits, et qui auraient aboli toute notion de nuit, préférant une texture blanche et une énergie noire. Son graphisme réfléchi, ses peintures aux couleurs endormies reproduisent des images aléatoires. Des petits traits s’agitent, véritables résidus de copeaux graphiques animés d’extravagances électromagnétiques, et sa vision du réel s’attache à la pensée de manière concrète sans que bientôt nul ne puisse ni les ignorer ni s’en séparer. De ces germes de dessin, des micro-organismes improbables naissent et des mondes animés apparaissent qui tantôt se construisent, tantôt se détruisent. Là, un motif peint, véritable alphabet qui argumente le grain du papier, s’active dans un fonctionnement autiste, sans parler. Quoi qu’il en soit, dans ce tissage sans horizon et sans visage se dessinent des paysages fascinants qui résultent d’une totale concentration mentale. Quand le signe, le pictogramme, l’idéogramme valident le tracé tel un phonème fixé de Gaston Planet, l’effet qui s’ensuit au niveau des sens ne peut être présagé. Dans cet inventaire de représentations où rien n’est statique, où tout est régulé par des lois, des forces, des chaos, des tensions, ce sont ici des muscles osseux, des coquilles enroulées, des excroissances spiralées, des nervures vrillées, des cristaux d’encre de Chine ponctués, des spires, des volutes, des limaçons, des lèvres, des opercules qui construisent un regard intériorisé. L’œuvre de Jean-Christophe De Clercq décidemment est bien étrange, méditative, étrange à son temps, étrange à elle-même. Elle se nourrit pourtant de science exacte, de dessins de la nature, et de la structure abyssale de ses configurations vertébrales. Sensuelle, précise, entêtante, délicate, hors gravité ainsi que la graine cotonneuse du peuplier, elle s’affirme sans modèle, et se laisse emporter par des vents d’une poétique peu rationnelle.
Frédéric Bouglé