Michel GOUERY

Né en France en 1959 - Vit en France

« Lorsque je fais une pièce hérissée de fourchettes, je vois bien que cela ressemble à une pièce vaudou, mais je ne vais pas jusqu’à faire couler du sang dessus1
Michel Gouéry est né en 1959. Il étudie à l’école des Beaux-Arts de Rennes au début des années 1980, au moment où les avant-gardes explosent avec ou après une série d’expositions qui marqueront le début de la postmodernité. La peinture qu’il fait, au sortir de l’école, est une peinture hésitant entre un répertoire abstrait et figuratif avec des formes simplifiées permettant cette double lecture. En 1986-1987, il est pensionnaire à la Villa Médicis et les formes figuratives ou leurs résidus sont confrontés de plus en plus à des motifs répétés qui insistent sur l’effet décoratif du tableau. Au fil des ans, des éléments clairement reconnaissables font irruption dans ces peintures très formelles : colonnes, œufs, coquillages fossiles… tout un répertoire qui évoque, à la fois, le souvenir des grotesques romains ou bien du baroque, mais aussi des organismes étranges – souvenirs des études de biologie que Michel Gouéry avaient entrepris avant d’aller aux Beaux-Arts – ou certaines images de films de science-fiction. Michel Gouéry peint, donc, des images très diverses qu’il fait basculer dans un champ qui semble abstrait tout en étant figuratif. S’il y a bien recherche d’un équilibre formel, d’une maîtrise de la composition, il n’y a pas recherche d’une unité dans la digestion d’un registre par l’autre. Chacun des registres garde sa singularité, semble être non miscible dans l’autre.
Les premières images réellement figuratives apparaissent au milieu des années 1990 ; des images d’assez mauvais goût, n’apparaissant pas vraiment comme dotées d’une grande logique formelle où affleurent des idées qui seront quelques-uns des maîtres-mots de l’art contemporain des années 1990 : le ratage, l’art parodic’, l’infamie, l’idiotie… Il s’agit pour Michel Gouéry de faire de la bonne peinture avec des images impossibles ou incongrues et les aberrations iconographiques les tirent vers une certaine abstraction même si celle-ci demeure grotesque. Dont acte et on y repensera en regardant les céramiques. En attendant, les peintures vont proliférer, certaines avec des trous, d’autres prenant du relief, d’autres encore dans des combinaisons où des images centrales sont entourées de ce que l’on pourrait appeler des images marginales. C’est le cas pour l’œuvre du FRAC Auvergne intitulée Sans titre, datant de 1999, œuvre composée de 31 éléments : 3 centraux et 28 périphériques où l’on voit des portraits d’hommes célèbres, des caricatures, des nus, images vulgaires ou savantes, pastiches ou copies… Au début des années 2000, la distance n’est plus aussi marquée et le grotesque semble disparaître presque totalement et, en 2004, Michel Gouéry arrête la peinture.
Si 2004 voit la fin de la peinture, les sculptures apparaissent à la fin des années 1990. Michel Gouéry s’est expliqué sur cet arrêt de la peinture au profit de la sculpture : « Les peintures que j’ai faites à la fin, avant de cesser de peindre, étaient de plus en plus longues à faire ; certaines étaient même programmées à l’avance. La fabrication n’était donc pas toujours très drôle. Lorsque j’ai commencé la sculpture, je suis redevenu comme un enfant en train de travailler sa pâte à modeler sur la table. Il y avait une forme de jubilation due au fait de pouvoir faire une pièce en quelques heures2. »
En 2000-2001, les sculptures vont devenir, progressivement, de plus en plus complexes avec, principalement, deux orientations : des sculptures d’assemblages colorés et des colombins de terre agglomérés. Les colombins qui forment des têtes déstructurées d’extra-terrestres ne vont pas avoir une grande postérité et ce sont les assemblages qui vont prédominer.
Plutôt qu’assemblage, il faudrait plutôt dire empilement. Soit il peut s’agir du mammouth devenant le porteur d’osselets, de viscères, d’un cœur enflammé ou non… soit d’un pied de champignon aux allures schtroumpfesques ou devenant un godemiché surmonté d’éléments similaires. L’empilement permet de tout faire et de tout mettre sans qu’il y ait nécessairement de logique. L’empilement est un générateur assez généreux qui permet de se libérer des contraintes de sens. L’empilement crée des aberrations au sens d’égarement ou de folie à l’aspect kitsch évoquant un mauvais pied de lampe où l’on trouve toujours un goût pour l’hybridation – que l’on trouvait déjà dans la peinture. Ainsi, une œuvre comme Toylett (2003, FRAC Auvergne) ouvre sur une prolifération murale composée d’éléments hétéroclites qui ne paraissent pas avoir été conçus au préalable, dans une série d’enchaînements lignes/nœuds/lignes digne d’un marabout-bout de ficelle ou d’un cadavre exquis.
À partir du milieu des années 2000, les sculptures prennent une dimension anthropomorphique inattendue et la complexité gagne les sculptures qui deviennent de plus en plus techniques dans le travail des surfaces : trames, pustules, spaghettis ou nouilles chinoises… Il s’agit bien d’empiler des surfaces et de laisser faire l’imagination : « Par exemple, une forme peut suggérer une couronne autour d’une tête. Dans un autre cas, tu vois, un pied supportera la tête d’un loup. Quelques fois, il y a un jeu assez évident entre deux ou trois formes. De temps en temps, c’est une espèce d’encroûtement comme ceux que l’on pourrait trouver au fond de la mer et, comme au fond de la mer, les coraux vont pousser les uns à côté des autres sans plus de raisons que cela3. » Ainsi, Frère Javel (2010), dernière pièce acquise par le FRAC Auvergne, est un sorte de mixage sur un corps à échelle 1, d’un écorché anatomique à la manière d’Honoré Fragonard avec une figure qui pourrait rappeler celles que l’on trouve à bord du Hollandais volant dans Pirates des Caraïbes. Elle nous fait passer sans transition du grotesque renaissant à l’industrie cinématographique américaine ou à des figures de musées ethnographiques. Elle articule le sacré et l’humour, le pastiche et la terreur, le ridicule et l’élégance… sans que l’on ne puisse jamais décider qui l’emporte sur l’autre.
Eric Suchère

1- Entretien entre Michel Gouéry et Camille Saint-Jacques en août 2011. Je remercie les deux auteurs de me permettre de citer quelques passages de cet entretien inédit.
2- Entretien entre Michel Gouéry et Camille Saint-Jacques, août 2011.
3- Entretien avec l’auteur du 13 décembre 2011.