David LYNCH

Né aux États-Unis en 1946 - Vit aux Etats-Unis

C’est lors de ses études à l’Académie des Beaux-Arts de Pennsylvanie, à Philadelphie dans les années 60 que David Lynch débute, presque accidentellement, sa carrière de cinéaste. Ces années d’étude seront déterminantes pour l’élaboration d’un langage cinématographique dans lequel l’histoire de la peinture occupe une place prépondérante. C’est en 2007, à l’occasion d’une importante exposition de ses œuvres à la Fondation Cartier à Paris, que David Lynch découvre l’atelier d’art Idem et décide de venir y travailler chaque année pour créer des lithographies. L’utilisation de la lithographie ne découle pas d’une volonté de créer des œuvres en plusieurs exemplaires mais doit se comprendre dans une relation très singulière qu’entretient l’artiste au support lithographique lui-même. La pierre lithographique prend son sens pour David Lynch dans ses spécificités minérales, mémorielles (la pierre, sablée après utilisation, porte la mémoire des œuvres antérieures faites par d’autres que lui) et dans la nécessité de travailler à l’envers, en miroir, rejoignant ainsi l’un des thèmes fondateurs de son univers. La pierre est envisagée comme une scène de théâtre où se joue l’œuvre avant sa disparition par effacement, scène sur laquelle se déploie un monde inversé (comme le sont les univers de ses films, de la black lodge de Twin Peaks aux jeux de miroirs de Lost Highway, en passant par toutes les scènes de théâtre où la logique s’inverse – dans Eraserhead, Rabbits, Mulholland Drive…).
A l’occasion de l’exposition Man Waking From Dream, consacrée en 2012 à David Lynch, le FRAC Auvergne a acquis un dessin et une série de six estampes. L’une d’entre elles, I See Myself, représente un espace théâtralisé, encadré de deux rideaux ouverts sur une scène. Sur cette scène, un corps blanc, allongé, duquel émane un second corps en négatif, flottant dans l’air comme un corps astral. Les deux corps sont liés l’un à l’autre par une matière hybride, à la fois feu et électricité. Cette estampe synthétise les grands thèmes qui parcourent l’œuvre lithographique et cinématographique de David Lynch. Dualité, complémentarité, scission des corps et des âmes, énergie, théâtralité, interaction, intériorité, regard, se fondent en une seule réalisation jouant d’un effet miroir, redoublé par l’exécution en miroir du dessin sur la pierre lithographique. Chez David Lynch, les univers sont fragmentaires, brisés, scindés ; les corps sont segmentés, démembrés ; et pourtant tous ces mondes, tous ces corps, toutes ces réalités atomisées tendent toujours vers une réunification, vers une unité retrouvée.
Il en va des pierres comme des films de David Lynch qui portent, eux aussi, la mémoire vive des films anciens (Sunset Boulevard de Billy Wilder, 8 ½ de Federico Fellini et bien d’autres). Mais, plus encore, sur les pierres se dépose la mémoire des propres gravures qu’il a lui-même exécutées. La réutilisation d’une même pierre pour plusieurs lithographies crée du lien d’une gravure à l’autre. Ainsi, Laughing Woman et I Fix my Head ont été exécutées sur la même pierre, reconnaissable au trou situé en haut, au centre, véritable lieu du passage symbolique auquel David Lynch accorde un rôle graphique à part entière. Le trou redouble la béance de la bouche grande ouverte de Laughing Woman, il est entouré d’un « pansement » d’encre sur I Fix My Head (« Je répare ma tête »). La béance de la bouche hurlante de Laughing Woman dont le rire est un cri, un son étranglé, une logorrhée verbale, est très semblable à celle de Sarah Palmer apprenant la mort de sa fille Laura dans la série Twin Peaks, et Lynch affirme avoir toujours été impressionné par la manière dont certains cris ont pu être peints, du Massacre des innocents de Poussin aux cris des papes peints par Bacon, en passant, évidemment, par celui de Munch.

Jean-Charles Vergne