Manuela MARQUES

Née au Portugal en 1964 – Vit en France

Manuela Marques, artiste d’origine portugaise, pratique tout autant la photographie que la vidéo. Sa production n’est pas dans l’abondance mais dans la sédimentation. C’est pourquoi ses images ont une intensité particulière, faisant de la matière des choses celle du cliché photographique à travers le rendu de la densité de l’air dans la pénombre ; ou le poids des objets et des corps sujets à la gravité ; ou encore l’association du cliché photographique au cliché émotionnel de l’objet décoratif – résidu du désir d’aventure dans des formes convenues en porcelaine.
Cette œuvre est une vidéo interactive absolument saisissante. Le spectateur entre dans un espace sombre et silencieux au bout duquel, sur un écran, des centaines de pigeons agglutinés les uns sur les autres semblent comme pétrifiés. Lorsque le spectateur fait quelques pas vers l’écran, les pigeons commencent à se mouvoir lentement, dans un bruissement de plus en plus sonore. La traversée de l’espace jusqu’à l’écran amplifie ce phénomène et c’est dans une violence inouïe que le spectateur termine sa déambulation contre un écran submergé par les pigeons en furie. Jouant à la fois de nos diverses phobies et d’une réflexion plus ouverte sur le thème de la surpopulation, Situation 5 est résolument une oeuvre que l’on ne peut oublier. Sa dimension angoissante repose sur un principe assez équivalent à celui employé par Alfred Hitchcock pour Les Oiseaux en 1960, consistant à générer une atmosphère anxiogène par l’utilisation d’éléments tout à fait ordinaires – des oiseaux – mais dont le surnombre et le comportement frénétique créent une situation d’étrangeté source de malaise, voire de peur.

Contact 1 appartient à un ensemble de photographies réalisées à São Paulo, entre 2010 et 2011. Extraits de l’entretien de Manuela Marques et Jacinto Lageira, réalisé lors de ses expositions au Musée Collection Berardo à Lisbonne et à la Pinacothèque de São Paulo1.

Jacinto Lageira : Vos travaux récents jouent sur le général et le particulier, le détail et l’ensemble, le proche et le lointain. Quel rôle joue la focalisation sur un point, un moment inaperçu, une situation délaissée, sachant que votre approche n’est ni documentaire ni sociale ?

Manuela Marques : Je pense qu’il faut revenir à la genèse de ce travail qui s’est constitué autour de l’idée de tentative. Tentative de rendre compte en quelques points visuels d’une ville, d’une mégapole, en l’occurrence celle de São Paulo. À chaque séjour, la question se pose : que photographier ? São Paulo est une ville aux contours flous où toute image cherchant à la circonstancier est bien sûr possible, mais forcément inadéquate si l’on veut rendre compte de sa dimension physique et humaine. Cette ville était ainsi toute requise pour mettre en œuvre cette recherche autour de la tentative photographique. Rien ne semble joué d’avance et les différences sociales, culturelles ou architecturales coexistent souvent dans un même espace.

J.L. : Peut-on réellement ignorer cet espace social en tant que tel, même si aucune narration ou état évident ne nous est présenté ; que devrions-nous voir ou percevoir selon vous ?

M. M. : Je ne pense pas ignorer l’espace social ; je dirai que mon travail s’en empare en lui donnant une forme particulière. Prenons ces scènes en plongée comme vues au travers de caméras de surveillance. Ce qui se trouve présenté par ce type de prise de vue n’ouvre aucun champ à ce qui serait habituel lorsqu’un photographe cherche à rendre compte d’une situation urbaine : l’idée de documenter une réalité. Je pense que mon travail est aussi de l’ordre du politique, au sens premier du terme. Je crois aussi que le réel n’est pas soluble dans le style. La plupart des photographies ont été réalisées dans deux ou trois lieux relativement dangereux de São Paulo : des zones de trafic, de consommation de crack, des lieux dégradés par toute une précarité et une misère engendrant des situations conflictuelles. Je me suis mise en situation d’observation, bien qu’au final le compte-rendu visuel indique très peu de choses de ce qui a été observé. Il s’agit dans cette proposition photographique de ne donner aucune réponse précise par une interprétation unique de ce qu’il y aurait à voir dans ces images. J’accomplis plus certainement une sorte de soustraction du visible pour mettre en évidence que la réalité est par nature multiforme, abstraite et fuyante. C’est bien pour cela, sans doute, que, plus qu’aucun autre médium, la photographie ou la vidéo sont les outils adéquats pour cette tentative d’infiltration entre les deux pôles du visible et du caché, le dérobé en quelque sorte. Ce qui crée le doute est le moteur de mon travail. C’est là où je pense être au plus près de ce que l’on nomme «réel».

1- Extraits de l’entretien entre Manuela Marques et Jacinto Lageira à l’occasion de l’exposition ‘BESphoto 2011’, Museu Colecção Berardo, Lisbonne, 2011.