Château des Evêques - Monistrol-sur-Loire

Le spectacle du monde

Du 20 septembre 2018 au 16 novembre 2018

Faire face à l’immensité d’un océan ou d’une chaîne de montagnes constitue toujours une expérience mêlée de sublime et d’intense fascination. Pourtant, apprécier la beauté de ces espaces n’a pas toujours été si évident et pour s’en convaincre il suffit de regarder la manière dont la montagne a longtemps été perçue. Qualifiée « d’affreux pays » par Montesquieu, longtemps contournée par les voyageurs qui ne voyaient en elle qu’un lieu de danger accablé de maladies effrayantes, il faut attendre le XVIIIe siècle pour que la montagne devienne un sujet d’admiration. Et le constat pourrait être le même pour la mer, le désert, les volcans, réduits pendant longtemps à leur seule utilité scientifique.
Cette évolution du regard peut s’expliquer en partie par l’évolution de la notion de paysage. En effet, jusqu’au siècle des Lumières, ces environnements étaient ce que le philosophe Alain Roger appelle des « pays » – et non des paysages : « Le pays, c’est en quelque sorte le degré zéro du paysage […]. Voilà ce que nous enseigne l’histoire, mais nos paysages sont devenus si familiers, si «naturels» que nous avons accoutumé de croire que leur beauté allait de soi ; et c’est aux artistes qu’il appartient de rappeler cette vérité première, mais oubliée : qu’un pays n’est pas d’emblée un paysage et qu’il y a de l’un à l’autre toute l’élaboration de l’art1 ». Pour Alain Roger, l’art nous aurait « appris », à travers ses représentations, à apprécier ces environnements – soulignant au passage que ce que nous pensions être un sentiment tout à fait naturel serait en fait un héritage culturel2…

Si d’autres facteurs peuvent sans doute expliquer ce rapport nouveau que les hommes entretiennent avec leur environnement depuis le XVIIIe siècle, il est intéressant de voir de quelle manière les artistes aujourd’hui continuent l’exploration de cette notion de paysage. Ils parviennent ainsi à renouveller tout
autant l’histoire de sa représentation que le regard que l’on porte sur ce qui nous entoure. Si les oeuvres d’Adam Adach, de Silke Otto-Knapp ou encore de Darren Almond entretiennent des relations étroites avec les visions romantiques des paysages de Caspar David Friedrich (1774-1840), Denis Laget, quant à lui, réfléchit autrement à la manière d’inscrire ce sujet dans la modernité, après Cézanne, après Manet. « Il ne s’agit pas de refaire mais de faire de la peinture ». L’artiste choisit volontairement ce sujet saturé par l’histoire pour le faire peu à peu disparaitre de l’oeuvre au profit seul de la recherche d’une langue picturale.
Mais les artistes contemporains sont aussi de véritables arpenteurs du monde et élargissent toujours plus notre ligne d’horizon. Les oeuvres présentes dans cette exposition sont pour beaucoup marquées par la déambulation, la perception, point de départ à l’élaboration d’oeuvres saisissant le paysage autant dans sa monumentalité (Georges Rousse, Adam Adach, Darren Almond…) que dans ce qu’il a de plus fragile, de plus délicat (Nils Udo, Xavier Zimmermann…). Pour en rendre compte, les artistes accordent leur geste, leur position au rythme de ces territoires traversés, éprouvés. À la beauté grandiose des paysages d’Alaska ou du Népal répondent la courbe majestueuse d’une herbe ou la légéreté d’une feuille qui repose sur le sol ; des portions de paysage a priori banals mais qui versent miraculeusement vers le sublime, dévoilant à notre regard tout le spectacle du monde.

1 Alain Roger, Court traité du paysage, 1997, Editions Gallimard, Paris.
2 Janine Vittori. Le paysage. https://ia2b.ac-corse.fr/attachment/92844/

Autres expositions cette même année

Jean-Christophe De Clercq

Domaine Royal de Randan

Invité une nouvelle fois à investir les espaces des cuisines du Domaine Royal de Randan, le Fonds Régional d’Art Contemporain a souhaité convier l’artiste Jean-Christophe De Clercq.
L’art de cet artiste installé en Auvergne a trouvé sa source dans l’initiation reçue d’un maître calligraphe coréen, Ung No Lee. C’est là qu’il faut chercher l’origine de sa pratique ascétique qui se révèle au sein d’un espace de travail immaculé baigné d’une musique atonale dans lequel Jean-Christophe De Clercq cherche à se libèrer de ses émotions pour favoriser une plongée vers un état proche de la méditation.
S’il porte une attention particulière au choix de ses brosses et à la fabrication artisanale méticuleuse de certaines d’entres elles, Jean-Christophe De Clercq exécute toujours ses oeuvres dans un temps très bref. Sans préméditation aucune, des gestes uniques et précis donnent naissance à des figures autonomes, ni figuratives, ni narratives mais dont on perçoit bien qu’elles ne nous sont pas tout à fait étrangères, sans être toutefois ancrées dans le réel. Ici, des nébuleuses en noir et blanc, pigmentées et tachetées de points, qui s’étirent, s’étalent et se retirent sur le grain fin du papier. Là, des micro-organismes qui se multiplient, se dilatent dans l’espace immaculé des grandes feuilles de papier.
Pas de référent, pas d’image à rechercher derrière ces traces… L’artiste ne travaille pas en séries, la forme n’est jamais la même mais se renouvelle à chaque fois comme la trace matérielle de l’instant présent. Ces oeuvres ne montrent pas une finalité mais dévoilent le processus cohérent qui unit la main (le poignet, le coude, le bras), son outil (le pinceau, la brosse) et son support. Il s’agit davantage de préserver un équilibre entre le geste et la surface laissée vide et de donner à voir une pensée en développement que rien ne saurait séparer du geste qui la fait naître. C’est toujours à une très grande maîtrise qu’en appellent les oeuvres de Jean-Christophe De Clercq sans que jamais celles-ci ne se dévoilent dans une virtuosité ostentatoire.

 

Exposition du 5 juillet au 30 septembre 2018
Tous les jours sauf mardi de 14 h à 19 h
Droit d’entrée compris dans celui du Domaine Royal, incluant la visite du Domaine et de ses collections.
Domaine Royal de Randan
Place Adélaïde d’Orléans – 63310 Randan
04 70 41 57 86 – www.domaine-randan.fr / 04 73 90 5000 – www.fracauvergne.com

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SARA MASÜGER

FRAC Auvergne

La pratique de Sara Masüger est sculpturale, exclusivement orientée vers la représentation de corps et de fragments de corps qu’elle réalise en acrystal (un polymère dont l’aspect fini ressemble au plâtre), étain ou aluminium. Tous les éléments corporels visibles dans ses sculptures sont à l’échelle 1 et son œuvre ne comporte ni dessins, ni esquisses préparatoires, cette absence se justifiant par la source unique de toutes ses créations, son propre corps, dont les moindres parcelles servent de matrices depuis des années à la réalisation des sculptures. Les héritages et filiations sont assez évidents et clairement affirmés par l’artiste qui, sans la moindre hésitation, clame son admiration pour les œuvres d’Alina Szapocznikow, de Louise Bourgeois ou de Hans Bellmer. Mais s’il semble a priori aisé de trouver dans la pratique de Sara Masüger des analogies formelles avec ces artistes, force est de constater que ses sculptures empruntent d’autres voies – d’autres voix serait d’ailleurs un terme plus opportun tant le langage occupe une importance essentielle dans ses œuvres, trouvant dans les représentations corporelles de véritables chambres d’écho au verbe et aux modalités d’expression sémantique dont le corps n’est qu’une émanation.

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