«Parler sans émettre des sons est plus fort que les mots parce que les mots disent des mensonges. Quand vous vous exprimez avec des gestes, vous êtes juste témoins du moment.» Les mots de la chorégraphe Carolyn Carlson résonnent d’un écho particulier au coeur de cette exposition par la proximité qu’ils entretiennent avec le processus de création des artistes présentés : primauté du geste sur le verbe, expérience physique, méfiance face au langage, intensité de l’instant…
À partir de la sélection d’une quarantaine d’oeuvres mêlant la jeune création à des artistes historiques, l’exposition Sillages s’attache à dénouer les enjeux propres à l’acte de création. Privilégiant une approche sensible des oeuvres, le parcours se tient à distance d’un contexte artistique qui aurait tendance à valoriser davantage ce qui est dit à ce qui est montré. À la surface de ces oeuvres, le geste seul fait sens, loin de toute autre forme de discours. Parcourir du regard les surfaces qu’il a traversées permet de remonter le processus de création, comme on remonterait le sillage formé par un bateau après son passage. C’est entrevoir les turbulences qui ont agité le processus, les doutes quant aux directions prises, les changements de cap – anticipés ou non -,les points de non-retour atteints par le geste de trop…
Si la sélection se concentre sur ce que l’on nommera par commodité des oeuvres abstraites, c’est pour mieux révéler la présence du geste, libéré des oripeaux séduisants de la figure. Mis à nu, le geste s’exprime, dans une grande ampleur (Gérard Traquandi), surgit telle une fulgurance (Alain Sicard), accompagne le travail de la couleur (Hélène Valentin), se livre dans une relation étroite à l’écriture (Anne-Marie Schneider)… Variant sa charge, son intensité, ses incidences sur le support, chaque artiste élabore patiemment son propre langage pour saisir la matière et accompagner ses transformations. Il en va alors, dans l’intimité de l’atelier, d’une conquête aventureuse, d’une «odyssée» pour reprendre les mots d’Armelle de Sainte-Marie au cours de laquelle prime le plaisir pur du geste.

Sortie d'ateliers - La collection du frac auvergne
1827. Nicéphore Niépce met au point un procédé qui permet de fixer une image sur une plaque métallique, donnant naissance à la première photographie de l’Histoire.
1841. Le peintre américain John Goffe Rand invente la peinture en tube, permettant de conserver les couleurs plus longtemps et de les transporter plus facilement.
Loin d’être anecdotiques, ces deux inventions techniques ont révolutionné le monde de l’art en permettant aux artistes de sortir de leurs ateliers et favorisant, quelques années plus tard, l’émergence d’un des courants les plus importants de l’art moderne, l’impressionnisme. Aujourd’hui, la pratique hors de l’atelier est devenue chose commune au sein de la création contemporaine, comme en témoignent les artistes réunis dans cette exposition. S’inscrivant dans l’héritage impressionniste, le photographe Mustapha Azeroual capture dans le paysage les modulations lumineuses du ciel, des premières lueurs du Soleil au crépuscule. Marina Gadonneix, quant à elle, s’immerge au sein des laboratoires scientifiques pour profiter du savoir-faire des ingénieurs et de leur maîtrise des technologies innovantes. D’autres encore (Geert Goiris, Dove Allouche) puisent leurs sources d’inspiration dans les domaines technique et scientifique et dans le formidable potentiel esthétique mis à leur disposition. Dans ce contexte, l’exposition Sortie d’ateliers révèle aussi en creux les liens incontestables qui ont toujours existé entre l’art et la science, deux domaines supposément opposés mais qui n’ont pourtant cessé de s’attirer et de s’influencer. Le parcours met en évidence qu’artistes et scientifiques partagent une volonté commune, celle de dépasser les limites de leur domaine respectif en cherchant sans cesse de nouveaux moyens de (conce)voir le monde.